¡ Ya basta ! 1994-2014

Le premier soulèvement zapatiste

Depuis la « Loi révolutionnaire des femmes » de 1993, le rôle des femmes indigènes – tzotziles, tzeltales, tojolabales et choles – est devenu inséparable de l’expérience zapatiste. Guiomar Rovira, dans un ouvrage intitulé Femmes de maïs1, publié dans sa version française par les éditions Rue des cascades, revient sur cette conquête majeure de l’insurrection, à travers des témoignages et des portraits de femmes chiapanèques.
Par Patxi Beltzaiz/Contre-faits.

Dans les rangs de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN), on dit que le premier soulèvement eut lieu quand fut énoncée la « Loi révolutionnaire des femmes » devant les combattants, le 8 mars 1993. Cette décision, «  véritable révolution pour les communautés indigènes », fut expliquée par deux commandantes femmes, Ramona et Susana, à rebours de tous les usages traditionnels qui interdisaient aux femmes de s’adresser aux hommes : « Nous ne voulons pas qu’on nous oblige à nous marier contre notre volonté. Nous voulons décider du nombre d’enfants que nous pouvons avoir et dont nous pouvons nous occuper. Nous voulons avoir le droit d’occuper des postes de responsabilité dans la communauté. Nous voulons avoir le droit de dire notre parole et qu’elle soit respectée. Nous voulons avoir le droit d’étudier et même d’être chauffeurs », avait déclaré Susana.

Par Caroline Sury.

Andrea, Trinidad, Irma, Laura, Elisa, Silvia, Maribel, Isidora, Amalia, Elena, Mónica, Isabela, Yuri, Patricia, Juana, Ofelia, Celina, María, Gabriela, Alicia, Zenaida et María Luisa, Leticia, Hortensia, Conchita, etc., sont ces insurgées au sein de l’EZLN, ces militantes dans des groupes de femmes, ces paysannes et ces artisanes organisées en coopératives qui témoignent dans Femmes de maïs. On y croise aussi la figure emblématique de la guerrière zapatiste, la commandante Ramona qui, avant d’être emportée par un cancer en 2006, déclarait en 1994 : « Nous étions déjà mortes en fait, nous comptions pour rien ». Opprimées parmi les opprimés, dans la région la plus indigène et pauvre d’un des pays les plus machistes au monde, ces femmes ont pris conscience que les choses pouvaient changer. « Ils veulent que nous soyons comme des pierres qu’on écrase ou comme l’arbre qu’ils font tomber quand ils le veulent, comme ils le veulent. À présent, je crois qu’il est temps pour nous de changer, nous n’allons pas continuer comme avant à être les plus sottes du monde, à ne pas pouvoir répondre », s’insurge María, petite vendeuse de rue d’artisanat pour touristes à San Cristobal, chassée de son village, élevant seule ses quatre enfants, qui « remercie Dieu » que les zapatistes soient venus leur redonner de la dignité. L’ouvrage, riche et dense, revient sur cette violence faite aux femmes, par le mépris, par le viol – également utilisé comme instrument de contre-insurrection – et par le racisme de la société coloniale, mais aussi par le poids des traditions au sein des communautés indigènes.

Ainsi, la major Ana María, originaire des Hautes-Terres du Chiapas, décrit le quotidien d’une femme indigène :

« Elle ne s’arrête pas de toute la journée. La femme paysanne se lève à trois heures du matin pour préparer le pozol [bouillie de maïs] et la nourriture, le petit déjeuner des hommes. Si elle a besoin de bois, elle s’en va et rapporte le bois ; si elle a besoin de maïs, elle va à la milpa [champ de maïs] et rapporte son maïs ou des légumes ou ce qu’elle y trouve. Elle s’en va et revient, porte son enfant sur le dos ou sur la poitrine, prépare à manger.

Toute sa journée se passe comme ça, du lundi au dimanche, jusqu’à ce que tombe la nuit. Les hommes, eux, peuvent profiter du dimanche pour s’amuser, jouer au basket, ou aux cartes, mais pas la femme, qui s’occupe de tout, tous les jours, sans se reposer.

[…] – On nous maintient comme ça, sur le côté. Je parle des compañeras des villages et de la femme en général dans notre pays qui subit les mêmes injustices. »

À force de discussions et de prises de parole, l’EZLN a réussi le délicat pari de bousculer certaines traditions sans risquer de ruiner la cohésion communautaire : « Toutes les coutumes ne sont pas bonnes ! Il y en a qui sont mauvaises… Une coutume est de marier les filles toutes jeunes et peu importe si elles y vont en pleurant. Cette coutume ne doit pas être respectée », avait décrété la Commission des femmes, réunie en assemblée en décembre 1994.

Bien sûr, ces avancées rencontrent encore la résistance des compañeros qui s’accrochent à des habitudes, qu’ils pensent immuables et en vertu desquels on pourrait sacrifier le sort des femmes. Beaucoup de femmes indigènes continuent à s’épuiser à force de grossesses à répétition et si les moyens contraceptifs circulent parmi les insurgé-e-s, l’avortement reste encore difficilement imaginable : « La croyance nie qu’il puisse être pratiqué. Ce serait aller à l’encontre de la tradition », explique, résignée la major Ana-Maria.

L’émancipation des femmes passe par les programmes d’éducation prodigués par l’EZLN : « Apprendre. Voilà la clé, souligne l’auteure Guiomar Rovira. Voilà la raison pour laquelle l’EZLN exerce une telle attraction sur les filles. Les insurgées doivent toutes apprendre à parler le castillan pour communiquer au sein de cette armée formée de différentes ethnies, et pour se défendre du pouvoir puisque le castillan est la langue du pouvoir établi. L’EZLN offre cette opportunité, la chance de lire et d’écrire, la possibilité de connaître l’histoire et la politique, de rencontrer d’autres jeunes, de partager des inquiétudes culturelles, de monter des pièces de théâtre, de composer des chansons, de rejoindre les multiples “groupes de jeunes” qui permettent de s’amuser, animent les fêtes de village… » L’apprentissage zapatiste est une école du temps libre. Le fameux passage de la nécessité à la liberté. « Ici, dans l’EZLN, on est égaux », affirme la capitaine Irma.

Par Patxi Beltzaiz/Contre-faits.

La postface de l’ouvrage, « Compañeras sur le chemin de l’autonomie » de Mariana Mora, nous permet de mesurer le chemin parcouru par ce mouvement des femmes chiapanèques depuis 1994. Autrefois invisibles et réduites au rôle de « figurantes », elles ont entraîné une révolution, certes encore inachevée – entre les énoncés et les actes, le temps est souvent long –, mais profonde. D’ailleurs, pour la première génération qui a «  grandi dans le zapatisme », le retour en arrière semble inimaginable, comme en témoigne Sabina, âgée d’une quinzaine d’années : «  Entre nous, avec mes amies compañeras, nous parlons beaucoup de ce qu’ont vécu nos parents et qui nous met en rage. Nous voulons continuer à participer pour que ces temps-là ne reviennent pas. C’est pour cela que c’est important de lutter au sein de l’autonomie. »

La suite du dossier, c’est par là et par ici...


1 Toutes les citations sont extraites de Femmes de maïs de Guiomar Rovira, traduit par Martine Gérardy, éditions Rue des cascades, Paris, 2014, 464 pages.

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