Dans mon jardin il y a…

Le potager, un truc de bobo ?

Si depuis le Coronavirus les jardins potagers ont le vent en poupe, leur contribution réelle à l’alimentation des ménages continue à décroître. Souvent associée aux urbains surdiplômés, faire pousser ses légumes pour se nourrir reste pourtant une pratique fortement ancrée au sein des classes populaires.

« Il faut cultiver notre jardin », disait Candide, un moyen sûr « d’éloigner de nous trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin ». Trois siècles et demi plus tard, son adage continue de faire des émules. Associatifs, ouvriers ou individuels, les jardins potagers sont plébiscités par les institutions publiques, la presse, les militants et toute personne vaguement de gauche – dans un alignement de planètes assez rare. Ils louent volontiers les vertus de l’agriculture urbaine.

Au sein des catégories plus populaires, cultiver son potager est une pratique de subsistance

Et pour cause, de vertus, ce type de besogne n’en manque pas : court-circuiter les réseaux de distribution et de production de l’industrie agroalimentaire, avoir accès à des produits frais et de bonne qualité à moindre coût, se réapproprier la terre et l’alimentation, survivre à des périodes de disette, tisser des liens, toucher de l’herbe… Avec la crise du Covid, l’engouement pour l’autoproduction de légumes s’est accentué. Maxime Marie, enseignant-chercheur en géographie sociale au CNRS et à l’université de Caen a mené des études de terrain dans trois villes du nord-ouest de la France. En cartographiant minutieusement les jardins individuels à l’aide d’images satellites et en menant près de 700 entretiens, il a constaté que si depuis 2015 de plus en plus de ménages font du potager, la surface totale de ces cultures et leurs contributions à l’alimentation ont fortement diminué, traduisant ainsi une transformation des pratiques. Alors qui mange véritablement les légumes du jardin ? Qui tire des cordeaux, trace des sillons, sème et récolte les légumes de son labeur ?

Des usages du potager socialement situés

Dans les communes de Rennes, Caen et Alençon, terrain d’enquête du géographe Maxime Marie, la production des jardins individuels représente entre 5 et 18 % de l’alimentation des ménages, en fonction des villes. Des disparités géographiques qui s’expliquent par les caractéristiques foncières et sociodémographiques de ces zones urbaines : la quantité de maisons avec jardin et la facilité d’y avoir accès d’une part, la présence de classes populaires d’autre part.

« Je ne suis pas certain que la majorité de la population ait envie de faire du jardinage »

En effet, si les catégories jeunes, diplômées et relativement aisées de la population s’adonnent de plus en plus aux joies du maraîchage amateur, c’est avant tout dans une démarche esthétique, récréative et pédagogique. Des légumes d’été surtout : quelques tomates, deux courgettes et un peu de basilic. Pas de quoi passer l’hiver. En revanche, au sein des catégories plus populaires, ouvriers et ouvrières en activité ou à la retraite, cultiver son potager est une pratique de subsistance. Les surfaces productives sont nettement plus grandes et contribuent fortement à l’alimentation de ces ménages. Ils font pousser des navets, des poireaux et des choux durant les saisons froides et font des conserves durant les périodes fastes, s’assurant une certaine autonomie alimentaire tout au long de l’année. « Plus les répondants sont issus de catégories populaires, plus ils expliquent qu’en cas de difficulté économique, comme une perte de revenus, leur potager pourra leur permettre de survivre à cette période », explique Maxime Marie. Mais au sein du monde ouvrier qui dispose d’un bout de jardin et conserve un lien, souvent familial, avec le secteur agricole, entretenir un potager dépasse aussi la fonction nutritive et fait partie d’un style de vie populaire source de fierté.

Glorification des pratiques populaires

Historiquement, les jardins ouvriers sortent de terre au XIXe siècle sous l’impulsion de l’État et du patronat qui y voient un moyen de soutenir la reproduction de la force de travail nécessaire au capitalisme industriel et un outil de contrôle des comportements du prolétariat, souvent jugés immoraux ou pire, subversifs. Un hygiénisme social intégré par les classes populaires elles-mêmes et qui imprègne les discours très positifs des classes dominantes sur le potager, mettant en avant son potentiel de résilience et glorifiant le surtravail domestique qu’il implique. « Dans les discours, le potager est valorisé comme une activité saine et souhaitable. En réalité, je ne suis pas certain que la majorité de la population ait envie de faire du jardinage. La preuve, ceux qui ont les meilleures dispositions pour le faire, c’est-à-dire les catégories supérieures, sont ceux qui ont les potagers les plus petits. Si c’était vraiment si bien, ils en feraient plus, mais ils préfèrent aller au marché ou au magasin bio », analyse Maxime Marie. Car ce n’est pas un hasard si ce sont les couches populaires de la société qui contribuent, en volume, le plus à l’autoproduction alimentaire. Produire suffisamment pour assurer son alimentation reste un travail épuisant et peu rémunérateur. On peut légitimement émettre l’hypothèse que si leurs salaires étaient plus élevés, à la hauteur de la valeur réellement produite par leur force de travail, les classes populaires passeraient sûrement un peu moins de leur « temps libre » à s’échiner pour sortir du sol des aliments nutritifs et goûtus. Sûrement qu’elles aussi iraient au petit marché de producteurs.

Niel Kadereit
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Cet article a été publié dans

CQFD n°243 (juillet-août 2025)

Dans ce numéro d’été, on se met à table ! Littéralement. Dans le dossier d’été, CQFD est allé explorer les assiettes et leur dimensions politiques... Oubliés le rosé et le barbeuc, l’idée est plutôt de comprendre les pratiques sociales autour de l’alimentation en France. De quoi se régaler ! Hors dossier : un mois de mobilisation pour la Palestine à l’international, reportage sur le mouvement de réquisition des logements à Marseille, interview de Mathieu Rigouste qui nous parle de la contre-insurrection et rencontre avec deux syndicalistes de Sudéduc’ pour évoquer l’assassinat d’une Assistante d’éducation en Haute-Marne...

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