Le film Faites sortir l’accusé démarre par un coup de gueule de Laurent Jacqua, son ancien compagnon de geôle. Nous sommes en 2012, à la sortie de la cour d’assises de Toulouse. Juste avant, le procureur a regardé les jurés dans les yeux : « Je vous demande de prononcer une peine d’élimination sociale. » Le jury obtempère : vingt ans de mieux pour Lalouel le récidiviste. En ignorant l’évidence : au milieu des années 1990, quand il s’évade avec Laurent Jacqua, Philippe Lalouel se sait déjà condamné à mort. Blessé par balle lors de sa première arrestation, en 1986, il a été transfusé avec du sang contaminé. À l’époque, cela laisse peu de sursis. Séropositifs, Jacqua et lui se font la belle parce qu’il vaut mieux mourir dehors. En cavale, ils braquent pour survivre et rêvent de s’enfuir à l’étranger. Mais, selon Corinne Lakhdari, d’Act Up Sud-Ouest, les juges rechignent à voir cette réalité-là, car ce serait reconnaître la responsabilité de l’État dans l’affaire du sang contaminé. Même si Lalouel n’aime pas ce mot, « il est une victime », a déclaré Corinne devant la cour. En vain.
En 2014, lors du jugement en appel, à Montauban, ses soutiens distribuent dans les rues le journal de bord que Philippe a tenu quelques années plus tôt, pendant sa courte liberté conditionnelle dans un bourg de Haute-Garonne. « J’ai mal d’être libre », écrit-il alors, au tout début des années 2010. Isolement, patron mauvais payeur, pas de réel suivi pour une réinsertion hypothétique. « J’ai prévenu l’assistante sociale, je vais péter les plombs. » Philippe braque une Poste et replonge. « Ils fabriquent des situations où les gens n’ont plus rien à perdre. C’est eux les assassins ! »
Avant sa libération conditionnelle, évasions et récidives avaient déjà valu à Philippe onze années en quartier d’isolement. Delphine Boesel, son avocate, présidente de l’Observatoire international des prisons, parle d’une « machine à broyer » et de l’instrumentalisation du jury, qui statue sur le sort d’un homme au nom du peuple français. En appel, on lui « donne » dix-sept ans au lieu de vingt… Monique Erbé, son amoureuse, rencontrée pendant cette brève période hors les murs : « Je suis écœurée. Philippe n’a jamais blessé personne. Je suis là pour le faire exister dehors, jusqu’au bout. »
Lalouel n’aime pas écrire. Les intellectuels ne se mobiliseront pas pour qu’on le libère, tel un Jean Genet ou un Roger Knobelspiess. Pourtant, à l’heure où l’autoritarisme libéral tombe le masque, on serait bien avisé de rendre ce scandale carcéral encore plus scandaleux.
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Faites sortir l’accusé – Brève histoire d’un prisonnier longue peine, de Pierre Guérinet et Philippe Lalouel, est distribué en DVD par les éditions du Bout de la ville.