« Rien n’arrête un peuple qui danse » (Mot d’ordre officieux du mouvement des fêtes techno libres)
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Le dégoût et la rage s’imposent à la vue des images de Redon. De cette free party qui s’est tenue le 18 juin dernier en terre bretonne, on retient les cohortes de robocops surarmés arrivant dans les champs comme sur un terrain de guerre, se délestant de tonnes de grenades et de balles de LBD sur les fêtards, cassant à la pioche et en toute illégalité du matériel de son. Surtout, on n’oubliera pas cette main arrachée à un homme de 22 ans, mutilé à vie pour avoir dansé.
On n’oubliera pas non plus les mots twittés en direct par l’association de réduction des risques Techno Plus, dont le poste de soins a été « bombardé de lacrymos » : « On tente de se protéger, mais aussi de soigner les blessés et de trouver les victimes sur le site. Le sous-directeur de l’ARS [Agence régionale de santé] ne parvient pas à obtenir que la préfecture laisse un corridor d’évacuation pour les blessés. »
Deux salles, deux ambiances. Quelques jours plus tôt, le très bourgeois public de Roland-Garros entonnait en chœur un vomitif « Merci Macron », les autorités ayant offert un dépassement du couvre-feu pour qu’un match puisse se terminer. Au même moment, une pluie de gaz lacrymo dispersait une foule jeune et festive venue danser aux Invalides.
Traumatiser la jeunesse pour qu’elle se tienne sage, c’est devenu la norme. Le 25 juin à Versailles, les flics ont même sorti les chiens pour chasser en meute des jeunes fêtant leur bac. Des images insupportables, qui résonnent avec les mots d’Emmanuel Macron le soir de la fête de la musique : « Amusez-vous, faites la fête. » Le président s’adressait visiblement au seul public présent le 21 juin dans les jardins de l’Élysée... Et les laïus macronesques sur la jeunesse précarisée, confinée depuis de longs mois, d’apparaître pour ce qu’ils sont : du brassage d’air insultant.
« Faites la fête. » Ces mots en tête, on repense forcément à Redon, à ces 1 500 personnes qui faisaient... la fête, justement. Mais une fête libre, loin des agents de sécurité, des fouilles, des verres hors de prix. De celles qui offrent de vrais espaces-temps pour inventer autre chose ensemble. Celle-ci était d’ailleurs organisée en hommage à Steve Maia Caniço, mort noyé dans la Loire pour avoir dansé au rythme de la techno lors de la fête de la musique nantaise il y a deux ans. Hasard du calendrier, le 17 juin, veille de la bataille de Redon, le procureur de Rennes officialisait ce que tout le monde savait déjà : les relevés effectués sur le téléphone de Steve ont « permis de situer le moment de la chute de Monsieur Maia Caniço dans la Loire à 4 heures et 33 minutes, soit dans le temps de l’intervention de la police nationale ».
Si la responsabilité de ces drames se partage entre un État roulant à l’autoritarisme débridé et des forces de l’ordre perfusées au sentiment de toute puissance, on peut au passage remercier Thierry Mariani et son « amendement scélérat » qui, en 2001, soumettait les free parties à une déclaration préalable en préfecture. Une façon déguisée d’interdire purement et simplement ces rassemblements, puisque le mouvement techno n’a pas bonne presse et que rares sont donc les fêtes autorisées par les préfets. Et aujourd’hui, qui dit rassemblement interdit dit open bar pour les pandores les plus violents.
En réaction, on a juste envie de leur foutre le nez dans leur merde. Ce qu’ont joliment fait celles et ceux qui ont déposé un mètre cube de grenades et de vestiges de LBD, récupérés sur le lieu de la fête, devant la sous-préfecture de Redon, une semaine après le carnage. Effet visuel percutant : une pleine mer de munitions.
Signalons aussi ce tag inachevé sur la façade d’un immeuble de Rennes : « Une main arrachée pour avoir dansé, la vengeance sera »... On vous laisse compléter la phrase.