La théorie de la vitre brisée
Razi et Fadel, 24 ans et 23 ans, quittent la fête où ils ont passée la soirée du 8 mars vers 3 h du matin ; une heure plus tard ils se font interpeller, suite au cambriolage d’une auto-école du quartier. Les deux copains passent en comparution immédiate trois jours plus tard, au TGI de Lyon, accusés d’avoir volé trois chèques impossibles à encaisser, un ordinateur portable hors d’usage et d’avoir cassé une vitrine, remplacée le lendemain des faits (et payée par l’assurance) comme le précise la victime.
Rappel des faits. La nuit de l’incident, un policier au repos constate que la vitrine de l’auto-école en bas de son immeuble est cassée et aperçoit une voiture passer devant chez lui. Il appelle ses collègues et se rend sur place où deux jeunes viennent d’être interpellés. Il reconnaît en Fadel le conducteur de la voiture qu’il a vu passer quelques minutes plus tôt. Dans la voiture, il y a un PC et trois chèques. Les deux copains expliquent avoir croisé un pote qui leur a laissé ce matériel à l’arrière du véhicule puis est reparti.
« Difficilement crédible, dit la présidente du tribunal, le témoin oculaire n’évoque pas de troisième personne ; s’il y en avait eu une, il l’aurait mentionnée. » Puis elle reprend la lecture du PV : « le conducteur a un visage fin et allongé », avant de l’abandonner, s’apercevant que le prévenu ne correspond pas du tout à la description, Fadel est plutôt enrobé avec le visage arrondi.
« Des morceaux de verre ont été trouvés dans votre poche, d’où provient ce verre ? », demande la présidente à Razi. « J’ai été plaqué à terre lors de l’interpellation, il y avait beaucoup de verre cassé sur le sol, j’en avais même collé sur le visage ! » La présidente est visiblement agacée par les réponses des prévenus. Leur avocate intervient pour préciser au tribunal que ses deux clients ne contestent pas les procès verbaux ni la version des policiers.
« Leur version est difficile à croire, elle n’est pas confirmée par les policiers qui les ont vus », rétorque la présidente qui confond le témoin oculaire, un policier au repos, et les policiers en service qui n’ont rien vu mais seulement procédé à l’interpellation. Le procureur réclame les peines planchers mises en place par Rachida Dati, affirme que les prévenus font des « dénégations invraisemblables » et finit par réclamer « trois ans de prison » pour chacun d’entre eux « avec leur maintien en détention ».
L’avocate des deux jeunes majeurs plaide la relaxe et commence leur défense avec deux remarques sur l’enquête : « Les objets du vol sont restitués à la victime quelques heures après l’incident, sans qu’aucune empreinte digitale ou ADN n’aient été relevés… » Aussi, « les bouts de verre retrouvés sur un des prévenus n’ont pas été mis sous scellés alors qu’il est pourtant facile de distinguer des bris de verre de bouteille ou de phares, de ceux d’une vitrine… » Elle est convaincue de l’innocence de ses clients et évoque la présence d’une troisième personne ce soir-là. Elle a repris l’ensemble des pièces du dossier afin de donner au tribunal une description chronologique, précise et logique des faits de chacun. Sa démonstration innocente Razi et Fadel et prouve bien la présence d’une troisième personne sur les lieux.
Le tribunal s’assoit sur les conclusions de ce travail d’enquête minutieux et condamne Fadel à 18 mois de prison, Razi à 20 mois, tous deux étant maintenus en détention. Á l’annonce du délibéré, la femme de Razi, enceinte de 7 mois crie au tribunal : « Vous n’avez pas honte !? »
Sans doute les juges du TGI de Lyon connaissent sur le bout des doigts les doctrines de la tolérance zéro mais, ce faisant, ils délaissent les études unanimes sur les conditions de la récidive : une analyse de 2002, réalisée sur la base de 111 études internationales (portant sur un échantillon de 442 000 auteurs de délit) a conclu que « les sanctions pénales n’ont pas d’effet dissuasif sur la récidive », et que, « contrairement aux sanctions de réadaptation, l’incarcération est liée à une augmentation de la récidive »1.
1 Dedans/Dehors N°76, p.34.
Cet article a été publié dans
CQFD n°110 (avril 2013)
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Paru dans CQFD n°110 (avril 2013)
Dans la rubrique Chronique judiciaire
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Illustré par L.L. de Mars
Mis en ligne le 23.05.2013
Dans CQFD n°110 (avril 2013)
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24 mai 2013, 11:50, par http://seenthis.net/people/colporteur
Pour les pratiques de défense :
Se défendre
1- Evitons d’abord le problème ressassé du réformisme et de l’anti-réformisme. Nous n’avons pas à prendre en charge les institutions qui ont besoin d’être transformées. Nous avons à nous défendre tant et si bien que les institutions soient contraintes de se réformer. L’initiative doit donc venir de nous, non pas sous forme de programme mais sous forme de mise en question et sous forme d’action.
2- Ce n’est pas parce qu’il y a des lois, ce n’est pas parce que j’ai des droits que je suis habilité à me défendre ; c’est dans la mesure où je me défends que mes droits existent et que la loi me respecte. C’est donc avant tout la dynamique de la défense qui peut donner aux lois et aux droits une valeur pour nous indispensable. Le droit n’est rien s’il ne prend vie dans la défense qui le provoque ; et seule la défense donne, valablement, force à la loi.
3- Dans l’expression « Se défendre », le pronom réfléchi est capital. Il s’agit en effet d’inscrire la vie, l’existence, la subjectivité et la réalité même de l’individu dans la pratique du droit. Se défendre ne veut pas dire s’auto défendre. L’auto-défense, c’est vouloir se faire justice soi-même, c’est-à-dire s’identifier à une instance de pouvoir et prolonger de son propre chef leurs actions. Se défendre, au contraire, c’est refuser de jouer le jeu des instances de pouvoir et se servir du droit pour limiter leurs actions. Ainsi entendue, la défense a valeur absolue. Elle ne saurait être limitée ou désarmée par le fait que la situation était pire autrefois ou pourrait être meilleure plus tard. On ne se défend qu’au présent : l’inacceptable n’est pas relatif.
4- Se défendre demande donc à la fois une activité, des instruments et une réflexion. Une activité : il ne s’agit pas de prendre en charge la veuve et l’orphelin mais de faire en sorte que les volontés existantes de se défendre puissent venir au jour. De la réflexion : se défendre est un travail qui demande analyse pratique et théorique. Il lui faut en effet la connaissance d’une réalité souvent complexe qu’aucun volontarisme ne peut dissoudre. Il lui faut ensuite un retour sur les actions entreprises, une mémoire qui les conserve, une information qui les communique et un point de vue qui les mettent en relation avec d’autres. Nous laisserons bien sûr à d’autres le soin de dénoncer les « intellectuels ». Des instruments : on ne va pas les trouver tout faits dans les lois, les droits et les institutions existantes mais dans une utilisation de ces données que la dynamique de la défense rendra novatrice.
Michel Foucault, pour les premières assises de la défense libre, à La Sainte Baume, en 1980. Foucault en est le seul auteur mais il a été cosigné par Jean Lapeyrie, Dominique Nocaudie et les avocats du réseau défense libre, Henry Juramy, Christian Revon et Jacques Vergès.