Privatisation de Pôle emploi
La guerre des Pôles
« Bienvenue à tous à cette présentation publique du dispositif Activ’Emploi... » Marseille, à l’aube d’un glacial jour de janvier, une vingtaine de chômeurs de tous âges écoutent sagement. Certains, studieux, prennent des notes, mais la plupart se contentent d’avoir l’air attentifs et profitent du chauffage. Les deux conseillères Pôle emploi se sont partagé les tâches : pendant que la première fait le topo, sa collègue s’occupe de projeter le PowerPoint sur le mur du fond… Entre la distance et la lumière des néons, faut avoir de bons yeux.
« Si on vous a convoqués ce matin, c’est que vous êtes tous dans la même situation : vous êtes des demandeurs d’emploi autonomes. » Dans leur jargon, ça veut dire que nous ne faisons partie d’aucun « dispositif ». En effet, comme le précisera la conseillère, nous sommes à l’aise avec l’outil informatique, pour faire nos propres recherches de boulot, rédiger CV et lettres de motivation… Bref, nous n’avons pas besoin de Pôle emploi pour ne pas trouver de travail.
Eh bien, cette situation ne pouvait plus durer ! Voici venir Activ’Emploi, un machin spécialement pensé pour nous. « C’est sans contrainte : vous pourrez choisir quand et comment vous aurez vos rendez-vous avec votre conseiller, en face à face ou par webcam. Vous pourrez avoir jusqu’à trois rendez-vous par mois ! Et le numéro de téléphone de votre référent, plus un accès à une plateforme privée, du e-learning... Ça va vous aider pour booster votre détermination... » Le reporter-chômeur de CQFD a l’impression d’avoir déjà entendu ça mille fois à propos de tout et de rien et puis… « Mais surtout vous aurez accès au marché secret des offres d’emploi. » Soudain on a presque l’impression de voir une vingtaine d’oreilles se dresser. Qu’est-ce que c’est que ça ? Parfois « et surtout sur le bassin Aix-Marseille, les employeurs n’ont pas confiance dans le marché public des offres d’emploi [c’est-à-dire Pôle emploi] » et font leur recrutement par leurs réseaux, ailleurs…, en bref : cachés.
Anvéol, une grosse boîte de conseil en ressources humaines qui ne connaît pas la crise, est prestataire de service pour Pôle emploi et, nous dit-on, ne touchera la « prime » que si le chômeur a trouvé du turbin. C’est cette grosse boîte qui a accès aux fameux emplois cachés… et à une part des 90 millions d’euros alloués par Pôle emploi au dispositif Activ’Emploi pour 2015-2019 1, soit entre 440 et 500 euros par chômeur.
Conclusion du bizness2 : Pôle emploi (boîte publique) fait la réclame pour une boîte privée auprès des chômeurs « autonomes », ceux qui sont les plus facilement « employables » et qui demandent le moins d’effort ! Aux galériens de la galère les plus en galère de moisir dans un Pôle Emploi qui n’a plus les moyens. « On est à un conseiller pour 600 demandeurs d’emploi ici. »
À la fin de la conférence, il fallait signer une feuille pour accepter le dispositif et prendre rendez-vous. « Mais on peut refuser ? », demandé-je innocemment. « Oui, mais pourquoi ? » « Je ne me sens pas très à l’aise avec l’idée de participer à la privatisation de Pôle emploi et d’aller engraisser une boîte privée qui choisit ses “clients”. » Plus loin, une dame en rajoute une couche : « Moi non plus. En plus, je suis une ancienne de Pôle emploi. » « Mais, nous prévient la conseillère, vous serez encore convoqués dans deux mois pour la même présentation… jusqu’à ce que vous acceptiez. » Moi : « Eh bien, on reviendra ! » Et, vous le croirez ou pas, mais la conseillère a souri.
1 Pour en savoir plus, voir l’enquête de l’Huma : Humanite.fr/pole-emploi-quand-le-prive-prend-les-choses-en-mains-602778.
2 La libéralisation du bizness de l’accompagnement des chômeurs est bien évidemment une politique « moderne et innovante » de Bruxelles.
Cet article a été publié dans
CQFD n°151 (février 2017)
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Paru dans CQFD n°151 (février 2017)
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Mis en ligne le 13.11.2019
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