La guerre de l’emploi : demandez le guide !
« Restez donc poli, disponible et motivé. » Lorsque vous vous pointez chez Pôle, sachez que « même si ces démarches sont fastidieuses, rébarbatives, elles peuvent vous permettre de retrouver un emploi rapidement. Restez donc poli, disponible et motivé. N’oubliez pas que vous avez en face de vous des personnes qui pourront, à un moment ou un autre, vous apporter une aide précieuse. » Ces conseils pleins de bon sens sont extraits d’un petit bouquin édité par le site qapa.fr1 – Emploi, guide de survie 2014 – qui décrit « toutes les étapes et bonnes pratiques pour se sortir du chômage et décrocher un emploi en 2014 ». Alors, c’est compris, les feignasses ? Parez-vous de vos plus beaux atours : la politesse, la disponibilité et la motivation. Arborez fièrement ce triptyque comme le fantassin trimballe son Lebel, son barda et son sens du sacrifice. Car chercher du boulot, nous explique en substance ce petit guide, c’est partir à la guerre. Toutefois, si nous pataugeons tous dans la même misérable tranchée, ici, c’est chacun pour sa gueule – plus ou moins cassée – sur le front de l’emploi. Et il va falloir vendre chèrement sa peau.
Comme dans tout conflit, il y a des pertes. A commencer par la vie qui précédait votre licenciement, cette période où vous aviez un contrat de travail et un salaire. Le bouquin est formel : vous devez « faire le deuil de ce qu’il y avait avant ». Dans sa grande mansuétude, il vous octroie tout de même une petite pause pour vous requinquer avant de repartir au combat frais comme un bleu-bite : « Prendre deux ou trois jours pour faire le point au calme » est vivement conseillé. Ensuite, il faut se taper « les déclarations administratives », « faire le tri » dans vos petites affaires, sans oublier d’« assurer [vos] besoins physiologiques », soit « manger et boire » et « dormir ». Mais, attention, sans trop abuser des « palliatifs ». Une fois que vous aurez « boosté [votre] mental », car là est « la psychologie de la réussite », et pris « soin de [votre] corps », l’heure sera venue de déplier les cartes d’état-major et de préparer votre plan d’attaque.
Il vous faudra alors « préparer [vos] outils pour combattre » et « connaître et s’adapter à l’environnement », tel le para en passe de sauter sur Djibouti. Puis passer aux choses sérieuses : pour espérer accrocher un job à votre ceinture, il vous faut « partir en chasse ». Et pas question de lanterner, au risque de passer votre vie aux minima sociaux. Il faut « bouger vite » et ne pas s’endormir – ou alors, en gardant votre arsenal à portée de main : « Ainsi, soyez toujours armé de votre téléphone portable, à proximité de votre ligne de téléphone ou de votre ordinateur. » De vacances ? Point question. Ou pas plus de cent vingt minutes : « Même si vous devez vous absenter ou partir en vacances, organisez-vous pour pouvoir écouter vos messages téléphoniques et numériques toutes les deux heures. Ainsi, vous pourrez réagir rapidement et ne pas passer à côté d’un emploi. » Et un bon petit soldat de la guerre économique n’omet jamais de se mettre la pression : « Que dois-je faire pour remplir 100 % de mes objectifs et satisfaire mon futur patron ? » est la question à se poser pour ne pas retourner à la première phase décrite dans le bouquin : celle du deuil… Vous pensiez qu’une fois un boulot décroché, la guerre serait terminée ? Que nenni ! Enrôlé dans une boîte, le combat continue : pensez à demander à votre employeur « quelle est la plus grande menace pour [son] entreprise », afin de bien cerner l’ennemi.
Si cet ouvrage excelle dans l’art de la guerre, il omet toutefois de décrire celle menée contre les chômeurs par Pôle emploi. Il n’aborde pas plus les diverses façons de se défendre : il n’est nullement question de syndicats, de prud’hommes – instance qui peut être salutaire pour surmonter cette fameuse phase de « deuil » – ou de collectifs de chômeurs. Ici, le discours est bien rodé : non seulement c’est la guerre, mais vous êtes, tel un Rambo lâché en pleine jungle, seul à la mener. Un individu contre un système qui n’a plus réellement besoin de main-d’œuvre, mais qui intime l’ordre d’aller au chagrin. Si vous échouez, petit soldat ne représentant que vous-même, ce sera uniquement parce que vous n’aurez pas suffisamment « boosté votre mental ». Après « deux ou trois jours pour faire le point au calme », il n’y aura qu’à rouvrir le guide à la première page. Ou déserter définitivement le marché du travail. Pour sauver votre peau. Jean-Baptiste Legars 1. Site dont la fonction est de mettre « en relation les bons CV avec les bonnes offres d’emploi ».
1 Site dont la fonction est de mettre « en relation les bons CV avec les bonnes offres d’emploi ».
Cet article a été publié dans
CQFD n°117 (décembre 2013)
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Paru dans CQFD n°117 (décembre 2013)
Dans la rubrique Médias
Par
Mis en ligne le 23.01.2014
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Dans CQFD n°117 (décembre 2013)
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24 janvier 2014, 10:06, par colporteur
ciao,
de petits compléments à cet article bienvenu pour, sans forcément déserter tout à fait, rester ingouvernables :
– Nous sommes tous des irréguliers de ce système absurde et mortifère (à propos de l’instauration du RSA)
– Cuisine : Pôle emploi : déjouer les convocs pour « entretien téléphonique », les radiations, le suivi...
Ni emploi forcé, ni culpabilisation, ni management, grève des chômeurs !