Dossier : Voter Vomir

La fatigue démocratique

« On a dit que les émeutiers n’avaient aucun dessein. C’est assez juste : ils ne faisaient que vomir le monde. »
Romain Gary

Ils nous fatiguent, ô qu’est-ce qu’ils nous fatiguent, mais ils ne nous auront pas.
On le sait, la mascarade était en germe dès le départ. C’est avec l’abbé Sieyès – auteur de Qu’est-ce que le Tiers-État ? et panégyriste de la nation (über alles) comme pouvoir constituant – que l’on se prend en pleine gueule la différence entre représentativité et démocratie. La taupe de la Révolution – comme l’appelait Robespierre – l’a assené dans son célèbre discours du 7 septembre 1789 : « Les citoyens qui nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants. » Brève leçon aux thuriféraires de la paralysie actuelle qui voient – encore – dans les élections un fondement démocratique. De démocratie, il n’y a pas. En tout cas, jamais là où on la nomme.
Autre pantin : « L’état de droit », en phase avancée de putréfaction 1. Le droit, épave titubante, qui jadis maintenait le Tout en bon ordre, ne sait même plus d’où lui viennent les coups : bim le droit du travail, bam le droit pénal, boum les magistrats vilipendés dès qu’ils touchent aux politiciens véreux et à leurs chiens de garde policiers. Ce que nous avons appris depuis fin 2015 c’est la tranquillité avec laquelle l’ordre juridique a basculé dans un régime d’exception. Une intranquillité, pour nous, qui révèle simplement le fait (pas du tout alternatif !) que l’exception était d’ores et déjà la règle.
Nous avons réappris à nos dépens ce que Walter Benjamin pointait dans ses Thèses sur le concept d’histoire, cinglante mise en garde : « La tradition des opprimés nous enseigne que l’état d’exception dans lequel nous vivons est la règle. Il nous faut en venir à une conception de l’Histoire qui corresponde à cet état. Alors nous aurons devant les yeux notre tâche, qui est de faire advenir le véritable état d’exception : et notre position en face du fascisme en sera renforcée d’autant. »
Comment faire face à la catastrophe en cours, à la montée des fascismes, des racismes, à l’état d’urgence permanent, au gouvernement par ordonnances, à la destruction de nos milieux de vie, à l’extermination des espèces animales ? Questions tellement énormes que l’on en serait presque réduit à attendre l’arrivée du messie, ce que certains ne se privent d’ailleurs pas de faire. La tâche est immense ? Certes. Mais rien ne bougera tant que l’on restera immobiles, en PLS. Une certitude : aujourd’hui ne rien faire est mortifère. Et vomir ne suffit pas.
Ce dossier, truellé en période trouble, s’est goupillé entre espoir et fatigue. Entre héritage communaliste et désillusion électorale. Nous sommes allés chercher des nouvelles de nulle part en espérant qu’un jour, nous aussi, nous saurons briser la flèche du temps.


1 Sur la fragmentation du droit lire « 50 nuances de bris » dans Maintenant (La Fabrique), le dernier livre du Comité invisible.

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Paru dans CQFD n°154 (mai 2017)
Dans la rubrique Le dossier

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Par L’équipe de CQFD
Illustré par Cécile Kiefer

Mis en ligne le 09.05.2017