Perpignan : communautarisme municipal

La bataille de Cassanyes n’aura pas lieu

L’expression est devenue leitmotiv ici bas : Perpignan est un laboratoire du sarkozysme. Quand il n’est pas surfliqué et gentrifié, le territoire urbain sans cesse redécoupé, est promis à la ghettoïsation, comme le dernier marché populaire de la vieille ville.

La place Cassanyes, dans le quartier Saint-Jacques, est le coeur de Perpignan, c’est le centre originel de la ville. Jadis lieu privilégié de la vie bourgeoise, le quartier a vu arriver, à la fin des années trente, les premières populations gitanes poussées à la sédentarisation, phénomène qui s’est accentué à partir d’avril 1940 avec le décret-loi d’assignation à résidence pris par le gouvernement d’une IIIe République finissante. C’est là aussi que s’installent les travailleurs immigrés maghrébins dans les années 60, créant leurs propres commerces. Le 15 septembre prochain, les bulldozers de la mairie viendront abattre les cinq cabanes qui abritaient depuis une quarantaine d’années les commerçants de la place Cassanyes. Cinq échoppes en dur au milieu des étals nomades. Cassanyes le marché populaire de Perpignan. Cassanyes la bigarrée, la gitane, l’arabe. L’entachée aussi : c’est à quelques mètres d’ici que le premier meurtre précédant les émeutes de 2005 avait eu lieu.

Il est où le problème avec ces baraques ? Nicolas Caudeville, journaliste,animateur de deux blogs politiques et culturels1, habitant du quartier, décrypte : « Ce sont des commerces de qualité par rapport à ce qui se vend sur le marché, les fruits et légumes viennent de jardins attenants ; pour la viande, c’est le seul boucher où l’on peut acheter du porc, ça attire donc une clientèle différente, plus bourgeoise, mais aussi de vieilles dames qui habitent encore le quartier et qui ne vont pas aller à Auchan à cheval ou en bus. » La mixité. Ce fameux vivre ensemble. On y est ! Sauf que les termes en sont tellement galvaudés par nos fins politiciens qu’on ne sait plus très bien à quoi ils renvoient. Peut-être à Cassanyes comme le juge notre interlocuteur : « La vraie mixité sociale est à Cassanyes et pas ailleurs. Ici c’est pas cher, les choses sont à un euro, c’est un endroit sympathique où l’on boit le thé à la menthe et le café. Un vrai endroit de vie contrairement aux autres quartiers de la ville. »

Au départ les cabanes devaient être rasées et reconstruites. Question d’insalubrité et de vétusté. Enfin un début de réhabilitation ! Les commerçants étaient plutôt pour. Et puis la nouvelle mairie est arrivée en la personne de Jean-Marc Pujol, maire très droitier et qui se définit aisément comme « anticommuniste primaire ». Et de reconstruction, il n’a plus été question. Trop cher. Et puis il paraît que les cabanes gâchent la perspective. La vue quoi ! Toujours aussi à l’écoute, la mairie a trouvé la solution pour les commerçants dégagés : achetez-vous un camion frigorifique !

Cas atypique à Perpignan, alors que partout on déloge les pas-de-chez-nous des centres-villes, histoire de mettre en œuvre cette fameuse gentrification, ici on expulse des Français bon teint à peine plus aisés que la basse populace. Deux raisons expliquent cela : historiquement, Perpignan a raté le coche des grands relookings urbains en préférant construire un grand ensemble en périphérie (Le Moulin à Vent) pour accueillir des milliers de pieds-noirs en 1962. Du coup, une partie du vieux centre est resté en l’état. C’est-à-dire à l’abandon. Second point rédhibitoire : les Gitans sont propriétaires de leur habitat. « Faire du quartier Saint-Jacques un quartier bobo, ils en rêvent ! Mais ils ne peuvent pas virer les Gitans comme ça, ils sont coincés. Évidemment y a la drogue, le sida. Mais c’est pas assez rapide. Va bien falloir qu’ils interviennent… », ajoute N. Caudeville. Pour l’heure, on communautarise. Cassanyes aux Arabes et aux Gitans. Les autres, du moins ceux qui ont encore un peu d’oseille, iront faire leurs emplettes ailleurs. Près de la future gare TGV par exemple, où se crée un immense complexe commercial. « Le projet de la gare veut décentrer totalement la ville, le nouveau centre doit être là-bas. C’est pour ça qu’ils veulent étouffer toute l’ancienne ville », poursuit N. Caudeville. Ici comme ailleurs, c’est le territoire urbain qu’on redéfinit. Des lieux de vie que l’on gomme à grands coups de dalles bétonnées sans arbre ni banc comme cela a été fait place de la République. La résistance est plutôt timorée.

À Cassanyes, après des tentatives de résistance pétitionnaire, les commerçants des cabanes sont devenus fatalistes. Chez leurs pairs d’origine maghrébine, la discrétion est de mise. D’abord pour ne pas se faire mal voir de la mairie et puis certains ne voient pas d’un si mauvais œil le fait de se retrouver entre eux. Une attitude qui pourrait s’avérer funeste si on se rappelle de la stratégie des autorités de Pétain qui tentèrent de jouer les Gitans contre les Juifs en 1942 avant de se retourner contre les premiers. Et N. Caudeville de conclure : « Le symbole ici c’est une volonté des différents pouvoirs de liquider le populaire. Et qui dit populaire dit socialisation. Si cette socialisation disparaît, la délinquance va augmenter. C’est mécanique. Mais les pouvoirs s’en branlent. Que les pauvres s’entretuent, au fond ils s’en foutent. C’est plus leur problème. »

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Paru dans CQFD n°81 (septembre 2010)
Par Sébastien Navarro
Mis en ligne le 02.11.2010