Extrêmes droites

La Nouvelle Droite dans la face

Depuis près de quarante ans la – plus tellement – Nouvelle Droite voudrait brouiller les schémas classiques de l’extrême droite à force de puiser des arguments dans la critique socialiste, anti-industrielle et écologique. Elle va jusqu’à titrer un numéro de sa revue Éléments : « La Nouvelle Droite est-elle de gauche ? », profitant des faiblesses de la gauche lâche et moribonde pour prétendre la doubler… sur sa gauche. Mais en grattant le vernis de la complexité intellectuelle réapparaissent vite les vieilles lunes anti-égalitaires et identitaires. Stéphane François qui a publié Au-delà des vents du Nord : L’extrême droite française, le pôle Nord et les Indo-Européens (PUL, 2014) revient sur l’influence réelle de ce courant.

CQFD : Quelles sont les motivations qui vous poussent à enquêter sur l’extrême droite radicale, la Nouvelle Droite plus particulièrement ?

Stéphane François : D’où je parle ? Vaste question. Premièrement, je viens d’une famille de résistants, avec un grand-père que j’adorais et qui était un militant anarchiste. Je pense qu’inconsciemment, il m’a beaucoup influencé… Ensuite, la mode en musique à la fin de mon adolescence était le Dark Folk. J’ai donc été bercé par Death In June, Non, Sol Invictus, Current 93, etc. J’ai traîné mes guêtres dans le milieu indus lillois pendant mes études, dévorant les fanzines sur le sujet, dont certains étaient téléguidés par des nationalistes-révolutionnaires, qui faisaient beaucoup de publicité à la Nouvelle Droite et à ses tendances. Enfin, je dévore depuis mon adolescence tous les livres sur les marges (contre-cultures, ésotérisme, etc.). Lorsque j’ai eu assez de recul, je me suis rendu compte qu’il y avait un sujet d’étude. Cela fait vingt ans que j’y suis plongé et je ne pense pas encore avoir fait le tour…

Par Charmag.

En lisant votre ouvrage, on comprend bien les origines idéologiques Völkisch1 de la Nouvelle Droite, ce qu’elle doit aux « révolutionnaires conservateurs », à Dominique Venner et à son groupe Europe-Action, mais surtout à Alain de Benoist. Pourriez-vous revenir, à grands traits, sur l’histoire et la signification de ce courant politique ?

En fait, les Völkschen sont l’une des influences de la Nouvelle Droite. Historiquement, la Nouvelle Droite est apparue en 1968, avec la création du GRECE, lui-même composé d’anciens de la FEN (Fédération des étudiants nationalistes) et d’Europe-Action. Sa principale caractéristique à l’époque était, déjà, son rejet du nationalisme et sa défense d’un européisme. Un certain nombre de personnes en son sein ont fait ensuite carrière dans la haute administration, dans l’université, ou encore dans le journalisme.

L’expression « Nouvelle Droite », est le nom donné par les adversaires du GRECE, lors de la campagne médiatique, extrêmement violente, de l’été 1979. Les néo-droitiers ont d’abord refusé la filiation droitière avant de finir par l’accepter. Jusqu’en 1979, la Nouvelle Droite renvoyait au couple GRECE/Club de l’Horloge. Mais vers 1985, à la suite des départs et des scissions de membres ne se reconnaissant plus dans le GRECE, la Nouvelle Droite devient un entrelacs de personnalités.

Le premier corps de doctrine du GRECE – qui va grosso modo de 1968 à 1979 – développe les thèmes suivants : un national-européisme ; une critique de l’égalitarisme à travers la critique du christianisme ; une conception non linéaire du temps (sphérique et/ou cyclique) sous l’influence de Nietzsche ; un éloge du paganisme (quêtes des origines indo-européennes) ; un anti-universalisme ; un antilibéralisme ; un tiers-mondisme « de droite » pour éviter le déracinement et l’immigration ; et enfin un enracinement régionaliste. Cette doctrine prétend appuyer ses analyses et ses conclusions sur les derniers travaux historiques, philosophiques, ethnologiques, ainsi que sur ceux de la biologie et de l’anthropologie.

Cependant, la toute première doctrine de la Nouvelle Droite jusqu’en 1972 se caractérisait plutôt par un racialisme pro-occidental, un positivisme (qui tournera en scientisme), un anti-égalitarisme, un antimarxisme virulent, un antitechnocratisme et une vision romantique et virile de la révolution.

Avec les années 1980, la Nouvelle Droite évolue : elle devient holiste et anti-occidentale – l’Occident incarnant l’acculturation et l’américanisation des mœurs –, elle défend une démocratie organique et prône le différentialisme. Hostile au matérialisme, au capitalisme et à la mondialisation, le GRECE a alors pour ennemis la société de consommation et les États-Unis, des points de vue qu’il défend toujours.

Après l’échec du gramscisme de droite et du projet élitaire, la Nouvelle Droite se mit à prôner un discours européiste et antitotalitaire marqué. Mais, surtout cette période voit l’essor chez de Benoist d’un discours prônant l’éloge de la différence et qui défend le droit des peuples, ce qui va provoquer le départ d’un certain nombre de cadres, comme Pierre Vial, au milieu des années 1980. Le GRECE ne se remettra jamais de cette hémorragie.

A partir de la décennie suivante, sa dernière évolution doctrinale poursuit la seconde, mais en y intégrant les thèmes écologistes et décroissants. De Benoist se réapproprie aussi les théoriciens du syndicalisme-révolutionnaire, comme Sorel, et certains auteurs marxistes. En fait, le GRECE a tant évolué qu’il se met à défendre ce qu’il avait condamné au début des années 1970…

Vous rappelez l’islamophilie et le tiers-mondisme d’Alain de Benoist. Pourriez-vous revenir sur ces deux points ?

De Benoist a toujours défendu l’islam. Il rejette l’immigration, mais a beaucoup d’intérêt pour l’islam. Il se rend d’ailleurs régulièrement en Iran et discute avec des intellectuels musulmans. En fait, la Nouvelle Droite a toujours eu une position favorable à cette religion. Cela fait partie d’une tradition d’une certaine extrême droite d’être islamophile, pour différentes raisons : ethnodifférentialisme, défense d’une forme de tradition, etc. Je me suis intéressé à cette question dans mon livre La Nouvelle Droite et la tradition (Arche Milano, 2011), ainsi que dans un chapitre, coécrit avec Nicolas Lebourg, à paraître dans un ouvrage collectif à la fin de cette année.

Quant à son tiers-mondisme, il est afférent à sa relecture de Lévi-Strauss et de Robert Jaulin. Il est aussi la conséquence de sa défense du droit des peuples, notamment vis-à-vis de l’impérialisme occidental. Il l’a déjà dit ou écrit plusieurs fois : il est contre toute forme de colonialisme, au nom du droit à rester soi-même, notamment dans un ouvrage publié en 1986, Europe, Tiers-Monde, même combat. Il est loin le temps, où dans Europe-Action et au début de l’aventure de la Nouvelle Droite, il défendait les régimes racistes de Rhodésie et de la République sud-africaine…

Depuis les années 1980, en quoi a-t-elle imprégné la droite « de gouvernement » ? Quels sont les liens avec le Front national ?

Au début des années 1980, la Nouvelle Droite a imprégné les idées de certains militants de l’UDF et du RPR (provoquant en retour de vifs rejets de la part d’autres militants de ces partis), qui étaient membres de l’un et de l’autre, notamment via le Club de l’Horloge. Nous pouvons donc penser que certains de ces militants ont gardé ces idées, qui se sont retrouvées ensuite à l’UMP…

Si Alain de Benoist trouve un intérêt à Marine Le Pen, il y a plutôt des divergences importantes, sur le rejet de l’islam et des musulmans, sur le jacobinisme. S’il y a des liens, ils se font surtout par le passage de membres du GRECE vers ce parti. Par exemple, l’attaché parlementaire de Marion Maréchal Le Pen est un ancien gréciste. En définitive, son influence est faible, l’entrisme ayant été un échec.

Dans un chapitre qualifié d’excursus, vous abordez la question du Black Metal et du néo-nazisme. Quel est le poids de cette scène musicale et ses liens avec les théoriciens du GRECE ? On a du mal à imaginer Alain de Benoist à un concert de Death in June…

Pour une bonne raison : il n’aime pas ça… De Benoist est plutôt un amateur de musique traditionnelle issue des différentes civilisations de notre planète. Il est aussi un amateur de musique classique et de jazz. En fait, les scènes indus, néofolk, black metal, etc. attirent plutôt les jeunes militants, voire les militants d’autres familles politiques, comme les nationalistes-révolutionnaires ou l’équipe de Réfléchir & Agir. De ce fait, à l’exception de quelques cas personnels, il n’y a pas de liens entre ces scènes et ces milieux. Concernant le poids de cette scène en France ? Entre quelques centaines et quelques milliers pour les groupes les plus connus/cotés, mais guère plus. Il y a eu quelques publicités pour un magasin online vendant de la musique indus/néofolk, dans Éléments, mais c’est tout…


1 Le courant Völkisch marque l’identité du nationalisme allemand dès le XIXe siècle, avec une nette inspiration païenne et racialiste.

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