Amour libre au pays des Soviets

Koko la coco

À la Fabrique, Olga Bronnikova et Matthieu Renault publient un livre à propos d’Alexandra Kollontaï. Personnage de la révolution russe et féministe d’avant garde, elle était à l’image de son époque : inspirante et terrifiante.
George Grantham Bain Collection (Library of Congress)

Publié à la Fabrique en février, Kollontaï – Défaire la famille, refaire l’amour suit la trajectoire d’une des grandes figures du féminisme marxiste : Alexandra Kollontaï (1872-1952). Cette « biographie intellectuelle » signée Olga Bronnikova et Matthieu Renault, fait sentir avec force et honnêteté ce que peut être la construction d’une pensée politique lors d’un tournant révolutionnaire (ici, celui de 1917 en Russie).

Le livre se lit comme une saga. Faut dire que le contexte était bouillonnant et Kollontaï, atypique. Rejetant son milieu aristocratique, elle a cherché activement à faire fusionner féminisme et lutte des classes. Parmi ses ennemis, la « famille bourgeoise » figurait en bonne place, et elle s’est appliquée à la dégommer en tant que commissaire du peuple aux affaires sociales, puis responsable du Jenotdel (département chargé de l’action du parti auprès des femmes). Posant les bases du premier système de soins gratuits pour les mères, établissant le divorce par consentement mutuel, accordant aux enfants nés hors mariages les mêmes droits que ceux dits « légitimes », encourageant la mise en place de crèches afin que les parents (et surtout les mères) ne soient pas seuls en charge de l’éducation des mioches, elle ne manquait pas d’idées. Pourquoi ne pas ouvrir des restaurants collectifs ? Ou bien municipaliser les blanchisseries ? Son but : « socialiser les tâches ménagères  ». « Dans l’histoire de la femme, la séparation de la cuisine et du mariage est une réforme non moins importante que la séparation de l’Église et de l’État », disait-elle. Notons pour compléter le tableau que sous son influence, l’IVG a été autorisée en 1920 en Russie, une première dans l’histoire. À celles et ceux qui seraient surpris·es par tant de modernité, le plaisir ne s’arrête pas là. L’« amour-camaraderie », sans doute une des théories les plus originales avancées par Kollontaï, n’est autre que l’ancêtre – à la sauce bolchevique – du polyamour, posant la compatibilité logique entre amour libre et communisme, et avançant que la liberté sexuelle des individus est un bon moteur pour la révolution. Caliente !

Mais attention ! Celle qui fut ironiquement nommée « la Valkyrie de la révolution » par ses « camarades »masculins restait une femme de son temps. Clairement abolitionniste en matière de prostitution, portant un regard méprisant sur la paysannerie et adhérant totalement aux élans coloniaux de l’époque1. Plus le bouquin avance et plus notre gorge se serre, alors qu’on découvre vers la fin cette citation glaçante : « La femme doit observer […] toutes les règles d’hygiène prescrites pendant la grossesse et se rappeler que, pendant neuf mois, elle cesse d’une certaine manière de s’appartenir. Elle est en somme au service de la collectivité, et son corps “produit” un nouveau membre pour la république ouvrière. » Oups ! On avait failli oublier que le totalitarisme allait bientôt recouvrir de sa chape de plomb les plus beaux élans de la révolution.

Par Pauline Laplace

1 En témoignent les cérémonies publiques de dévoilement, mettant en scène l’ « adhésion » des femmes musulmanes du Turkestan au régime.

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CQFD n°229 (avril 2024)

Dans ce numéro 229, c’est le retour de notre formule trimestrielle de 32 pages ! Un dossier spécial détachable sur l’Inde « Mousson brune : fascisme et résistances en Inde » nous emmène voir le pays le plus peuplé du monde autrement, auprès d’une société indienne qui tente de s’opposer à Narendra Modi et son suprémacisme hindou. Hors-dossier, des destinations plus improbables encore : CQFD s’invite dans les forêts du Limousin, à Montpellier observer la sécurité sociale alimentaire, et même dans la tête d’un flic. On y cause aussi droit international avec l’état d’Israël en ligne de mire, on y croise une renarde comme dans le petit prince, et on écoute les albums de Ben PLG et le pépiement des oiseaux printaniers.

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