Série TV ­• S02E2 • Hit and miss

Killing Queer Hero

Previously dans Ciquiouéfdi  : Au risque de déplaire aux lecteurs rétifs à ces œuvres fictionnelles, nous continuons la visite des séries anglaises. Après l’espionnage à Londres1…, cap au Nord, Manchester et sa campagne, pour Hit and miss, un polar qui donnerait des boutons à la Manif pour tous (MPT).
Junie Briffaz

Pré-générique

Nuit. Parking glauque, désert, silencieux. Un type se dirige vers sa caisse. Quelqu’un l’attend. Capuche et veste noires. Flingue et silencieux. Poum et poum. Le tueur à gages retourne dans sa voiture… et se passe du rouge sur les lèvres. Chez elle, après une séance de sport, elle va prendre une douche. L’assassin est une femme trans.

Générique

Hit and miss, mini-série (une saison, 6 épisodes de 40 minutes) créée par Paul Abbott pour Sky Atlantic. Première diffusion : mai 2012. Avec Chloë Sevigny, Jonas Armstrong, Karla Crome, etc.

Épisode

Mia travaille comme tueuse à gages pour un mafieux de Manchester afin de payer son opération qui pourra la rendre pleinement femme. En attendant, elle économise, ne voit personne, ne s’occupe que d’elle. C’est alors que sa vie d’avant, du temps où elle essayait d’être un homme hétérosexuel, la rattrape : une ex-girlfriend, mourante, apprend à Mia qu’elle a été le géniteur d’un gamin de 11 ans. Et les choses vont se compliquer davantage lorsqu’elle se voit confier la garde des quatre enfants de cet amour lointain et passager. Entre Manchester, grise, urbaine, solitaire et la campagne du Yorkshire, ses landes, la ferme avec les quatre gosses (de 6, 11, 15 et 17 ans), c’est une nouvelle famille qui renaît loin du modèle « un papa, une maman ».

En effet, à l’heure où les supposés champions de la prochaine présidentielle française redoublent d’œuillades appuyées aux cathos intégristes et aux dingos de la MPT qui auraient été « humiliés par Hollande » (dixit Macron), Hit and miss est un bon coup de botte à talon dans les parties de ces réacs. Car c’est bien une « famille » qui est au centre de l’intrigue. Une famille qui se compose et se recompose, non pas en fonction des carcans traditionnels et génétiques, mais en fonction des aspirations, des amours et des fêlures de ses membres… qui sont tous, peu ou prou, celles et ceux qui sont quotidiennement maltraités et réellement humiliés par la société patriarcale et normative : femme, trans, gamins en marge, jeunes isolés, marginaux, handicapé(e)s, épouses battues ou fille mère… En face, les parents de Mia - la famille patriarcale « normale » - n’est génératrice que de violence et d’exclusion.

Certaines critiques ont pointé du doigt le paradoxe que ce soit une actrice « cis »2, Chloë Sevigny, qui interprète un rôle de trans alors que les actrices trans manquent cruellement de (beaux) rôles… Il n’empêche que la prestation de l’actrice américaine est pour le coup tout à fait remarquable. Tour à tour femme fatale, tueuse de sang froid ou en panique, elle crève l’écran. Le cœur de l’histoire ne tourne pas autour du changement de sexe de Mia mais du changement de perspective de son existence : d’un côté, l’implacable tueuse trans, passablement égoïste et réservé, de l’autre, la femme chargée de famille, en lutte contre l’omniprésente violence des dominants : les hommes riches et puissants.

Les personnages, réjouissants, ne mâchent pas leurs mots, avec des accents du nord de l’Angleterre ouvrière. Par exemple, Riley, la fille aînée, interprétée par la jeune Karla Crome, véritable alter-ego de Mia : l’opposition initiale, « vraie » femme et mère potentielle versus « fausse » femme et père « véritable », se mue peu à peu en une relation de solidarité, de sororité même, de femmes en but à la violence des hommes. Car, si c’est Mia la tueuse, la violence, le sexisme et la transphobie viennent le plus souvent des mecs… Dans la série comme dans la vie. Et les femmes ne peuvent et ne doivent compter que sur elles-mêmes. Cette « petite série » (4 heures en tout et pour tout) très attachante, accompagnée d’une excellente bande son, est aussi une œuvre politique. Sans se faire donneuse de leçon, d’ailleurs ! Il n’y a aucune morale finale autre que « la lutte continue ». Et elle continuera encore le mois prochain, avec une autre série, d’autres femmes et d’autres paysages loin, très loin de l’Angleterre.

Julien Tewfiq

1 The Honourable Woman, in CQFD n°151.

2 Est « cis » une personne dont le corps est en adéquation avec son genre. C’est-à-dire, grosso-modo, « non-trans ».

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Paru dans CQFD n°152 (mars 2017)
Dans la rubrique Previously dans Ciquiouèfdy

Par Julien Tewfiq
Illustré par Junie Briffaz

Mis en ligne le 11.08.2019