Indépendance de la catalogne Votarem, et puis...

Juché au-dessus du col du Perthus, ville frontière entre l’Espagne et la France, le fort de Bellegarde accueillait ce dimanche 1er octobre le quintet barcelonais The Art Eixample of Canigo. Le ciel était bileux et les zicos lâchaient leur be-bop fiévreux et poétique. Puis le trompettiste Juan de Diégo a prononcé quelques mots au sujet du référendum sur l’indépendance de la Catalogne. Visage crispé, il a parlé de répression et convoqué les mânes du franquisme. Le public a applaudi : solidarité instinctive face aux brutalités policières.

Depuis le matin, certaines images tournant en boucle montraient des flics espagnols ressemblant à tous les flics de la planète : des silhouettes noires et caparaçonnées, des mastards gantés et casqués qui piétinent et frappent des civils. La jeune Marta Torrejillas s’est rendue à l’institut Pau Claris de Barcelone pour voter ; elle s’est retrouvée à moitié à poil dans des escaliers, empoignée par un robocop ayant pris soin de la peloter avant de lui casser méticuleusement les doigts de la main gauche. Ailleurs, ce sont les pompiers catalans qui, s’interposant pour protéger quelques pékins pacifistes, se sont ramassés des coups de matraque télescopique. Une vidéo amateur montre quant à elle une escouade policière forçant l’entrée du collège de Sant Joan de Vilatorrada pour se saisir d’une urne – sur plus de 2 000 bureaux de vote, environ 300 ont été fermés par la poulaille –, quand un manifestant chauffé à bloc a lâché un poignant « ¡ No Pasarán !  ».

Que les plaies de la dictature n’aient jamais été cautérisées, nul n’en doute. Ce fut le poison, lent et pernicieux, de la prétendue transition démocratique, qui permit aux vieilles familles franquistes de recycler leurs notables sous couvert d’amnistie. Dès 1977, après plus de 36 ans de répression, le gouvernement de Catalogne a renoué avec un statut d’autonomie. Et la fièvre indépendantiste a continué de grimper au fil des décennies, portée par des partis comme Esquerra republicana de Catalunya (Gauche républicaine de Catalogne) ou la CUP (Candidature d’unité populaire – gauche radicale anticapitaliste). En 2014, un référendum piloté par le centriste Artur Mas donnait déjà la parole à deux millions de Catalans, qui se prononcèrent à 80 % pour une sortie du giron espagnol. L’affaire fut bien sûr déclarée illégale par Madrid. On ne lâche pas 20 % de son PIB et son intégrité territoriale sans que la guerre ne soit officiellement déclarée.

Reste à questionner les jalons d’un hypothétique État catalan. Car si l’ambition consiste à singer le cadre de nos démocraties libérales, on peut douter du caractère éminemment subversif de cet élan émancipateur. Catalanes ou castillanes, les matraques finiront toujours par pleuvoir sur les têtes avides de conchier frontières et drapeaux. Philosophe libertaire, Santiago López Petit l’a rappelé en quelques mots : « En définitive, s’opposer à l’État espagnol à partir de la volonté d’être un autre État, non seulement n’est guère intéressant, mais est carrément perdant. Par contre, imaginer une Catalogne qui demeure infatigable en tant qu’anomalie peut effectivement miner la légalité néo-franquiste, et se constituer à l’avancée de quelque chose d’imprévisible en Europe. »1


1 « Catalogne, prendre parti dans une situation étrange », texte de Santiago López Petit traduit par Alèssi Dell Umbria et mis en ligne sur le site lundimatin le 1er octobre.

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Paru dans CQFD n°158 (octobre 2017)
Par Sébastien Navarro
Mis en ligne le 24.12.2017