Guerre chronique

Un tsunami d’automne, une véritable déferlante d’enthousiasme dans la surenchère d’ignominies. Sans honte, sans masque, aux détails près de quelques bruyantes dissonances chez les puissants pour maquiller leurs vilenies. En quelques semaines, ce sont toutes les possibilités qu’offrent le droit et la démocratie qui seront déployées. À Paris, des jeunes se retrouvant dans un hall d’immeuble sont arrêtés et déférés au parquet. Une association d’aide aux mal-logés se prend une amende de 12 000 euros pour avoir occupé un morceau de trottoir et les Enfants de Don Quichotte se voient confisquer leurs tentes.

À Grenoble, les flics emmènent un père chercher ses enfants à l’école. « En situation irrégulière », tous les trois sont expulsés le lendemain. En attendant l’eugénisme, Dati présente son projet d’incarcération d’enfants de 12 ans comme une mesure de « bon sens » pendant que Sarkozy envisage des prisons psychiatriques avec rétention ad æternam. À Montfermeil, les flics s’acharnent sur deux jeunes de 22 et 14 ans. Deux mineurs, opposants au maire de Levallois, sont mis en examen. Les lycéens qui bloquent le lycée Montgrand à Marseille subissent coups et insultes de la part des casqués.Les élèves de Marciac, eux, connaissent une brutale descente de gendarmes mêlant humiliations et menaces. Depuis le début de l’année, 105 personnes se sont suicidées en prison. À Montataire,un jeune de 20 ans est abattu par la gendarmerie lors d’une course-poursuite. Jean-Marc Rouillan retourne en prison pour n’avoir pas respecté la loi non écrite qui exige, en plus des années d’isolement et d’emprisonnement, repentir et actions de grâce. Pendant que cherche à s’imposer le travail du dimanche, nouvelle arme de pression entre les mains des patrons… À une contrôleuse du métro parisien en train de verbaliser, un erroriste de passage lui fait remarquer qu’elle pourrait fermer les yeux. Et la milicienne de répondre : « J’y peux rien moi, les gens, ils n’avaient qu’à voter autrement… »

Sur le quai, les voyageurs patientent. Trente minutes de retard vient d’annoncer la voix suave. « C’est encore un sabotage ? » demande CQFD au chef de gare qui embraye immédiatement : « Tout ça, c’est des bobards. Faut voir comment la direction nous demande de réduire les mesures de sécurité. » Justement, Tarnac, le terrorisme : cent cinquante cagoulés en armes, fuites chez les flics, vomis chez les journalistes, diarrhées chez les juges et les ministres, et alignements de preuves confondantes : faux papiers, gilets pare-balles… Et puis plus rien, sinon l’extrême violence d’une descente de flics et des incarcérations. Mais, aussi, une espèce de retournement de l’effet poursuivi. Une défense puis un soutien1 qui devient public, où l’indignation se mélange à la dénonciation des délires complotistes de l’État et des médias. Au final, une opération policière contre-productive ? Bien plus que ça. Autorités prises, en partie, au propre piège de la totale impunité dont il jouissent.

L’Insurrection qui vient, type d’ouvrage généralement confiné dans une certaine confidentialité, excite la curiosité. « On réimprime, évidemment. On reçoit plein de commandes » dit l’éditeur2. Empathie pour une jeunesse rebelle et mépris public pour l’État. Ne manquait plus que la diffusion d’une critique sociale hors norme… On en arriverait presque à les plaindre de se mélanger ainsi les pinceaux,embarqués qu’ils sont par leur enthousiasme dévastateur, ces vils fauxculs qui représentent l’ordre et mènent une guerre chronique contre la société. Et qui sait, peut-être, faute de boîtes à gifles, aussi à les remercier…


1 Au moment où nous bouclons, une quinzaine de comités de soutien aux inculpés du 11 novembre se sont constitués : soutien11novembre.org.

Facebook  Twitter  Mastodon  Email   Imprimer
Écrire un commentaire

Paru dans CQFD n° 62 (décembre 2008)
Par Gilles Lucas
Mis en ligne le 13.02.2009