« Ne plus rien attendre de l’état »
Grèce : Une santé autogérée
Septembre 2014. « Il y a des fantômes dans ce pays ! On appelle comme ça les personnes oubliées, qui n’ont plus aucun droit : ni santé, ni instruction, ni logement. Aucun droit, sauf celui de payer. » Nikos évoque à la fois une situation tragique et une résistance tenace, constructive. Il parle depuis la clinique sociale de Peristeriou, dans la banlieue nord-ouest d’Athènes. Ce centre de soins alternatif est l’une des douze cliniques et pharmacies qui, sur le territoire de la capitale, sont nées de la crise. Un réseau horizontal coordonne ces lieux avec ceux de tout le pays, une quarantaine environ. C’est grâce à de telles structures que, ces dernières années, une partie de la population, exclue du système de santé publique, a pu bénéficier de soins médicaux.
« Depuis quatre ans, le système de santé publique a d’énormes problèmes. Il a subi des diminutions drastiques de budget, jusqu’à 30 ou même 40%. Aujourd’hui, les hôpitaux ont un mal fou à s’approvisionner en médicaments, à assurer les conditions d’hygiène de base ou à se fournir en instruments médicaux. » L’application aveugle des mémorandums européens a eu des effets dévastateurs. D’un côté, l’État s’est déchargé de plus en plus sur les patients pour payer les frais du service. De l’autre, il a rendu inefficients les services, au détriment même de ceux qui disposent encore d’une mutuelle1. Au-delà des politiques gouvernementales, la crise économique a évidemment joué son rôle. Du temps de l’État-providence grec, c’était par le contrat de travail qu’on accédait à la protection sociale. Mais ce système s’est fracassé contre un chômage qui atteint les 27,6%, et jusqu’à 55,1% chez les jeunes2. On estime qu’aujourd’hui environ trois millions de personnes, soit 25% de la population, n’a pas accès à la santé publique3.
Voilà pourquoi, depuis 2012, plusieurs dizaines de cliniques et pharmacies sociales ont été créées dans tout le pays. Développant leurs activités en toute illégalité, elles tentent de fournir consultations et médicaments gratuits à tous les patients dans la dèche. « Dans nos structures, on ne fait pas de discrimination ! Quand quelqu’un frappe à notre porte et a besoin de soins médicaux, il sera bien traité. Pas question de mutuelle, d’affiliation à la Sécu ou de papiers d’identité. Et il ne faut pas nous confondre avec les ONG qui travaillent ici, en Grèce. On fait pas de la charité, mais de la solidarité ! » Ces lieux sont gérées par des assemblées. Leur philosophie est celle de la démocratie directe et de la participation, en essayant d’impliquer les patients et les habitants du quartier. Les locaux sont soit donnés par des particuliers, soit prêtés par des écoles ou des mairies sympathisant avec le projet, ou alors ils se situent dans des immeubles squattés. La difficulté première reste l’approvisionnement en médicaments, matériel et instruments médicaux. « La grande différence entre nous et les ONG, c’est qu’elles sont financées par l’Union européenne ou d’autres institutions, alors que nous avons choisi de ne pas compter sur ce système-là. Quand on a besoin de quelque chose, comme des médicaments ou des appareils d’analyse, on les obtient par des dons solidaires. Et très souvent, ce sont des personnes “ordinaires” qui font ces dons. Par exemple, certains nous apportent les médicaments dont ils n’ont plus besoin. Ou des médecins qui partent à la retraite nous cèdent gratuitement leurs instruments. » À travers un réseau de solidarité local et international, en particulier avec l’Allemagne et l’Autriche, ces cliniques et pharmacies arrivent à surmonter, au moins partiellement, leurs difficultés matérielles. Au final, la collaboration entre cette quarantaine de structures sanitaires a permis de couvrir une demande de soins bien plus large que celle que chaque groupe pouvait espérer couvrir isolément, donnant parfois l’impression d’un véritable système de santé parallèle. « Quand on n’arrive pas à soigner certaines maladies graves par nos propres moyens, soit l’on fait pression sur les hôpitaux pour qu’ils prennent en charge gratuitement les patients, soit l’on passe par des médecins amis qui travaillent dans les établissements publics. Pendant leurs heures de travail, ces derniers contournent les contrôles et examinent, puis soignent les patients que nous leurs envoyons. »
Ces cliniques et pharmacies ne sont qu’un exemple parmi d’autres d’un phénomène de réorganisation sociale du pays par la base. Face à la crise économique et à la nécropolitique de la Troïka, la Grèce est aujourd’hui traversée par des expérimentations qui tendent vers une réappropriation de la politique et vers des formes d’autonomie de la société. En ne se focalisant que sur les derniers changements institutionnels, on risque de passer à côté de toute une série de pratiques autogestionnaires qui traversent la société grecque ces dernières années. Depuis janvier 2015, une question tourmente tous les médias d’Europe : « Que va réussir à obtenir le nouveau gouvernement Syriza-Anel ? » Alors que la question essentielle, qui permettrait de donner la parole à ces expérimentations et à la réalité sociale du pays, serait plutôt : « Jusqu’où iront les mouvements sociaux sous ce nouveau gouvernement ? »
La suite du dossier
Une joyeuse victoire : « Adièu, paure Carnavàs ! »
1 Kentikelenis A. et al., « Greece’s health crisis : from austerity to denialism », The Lancet, 383, Cambridge, 22 février 2014.
2 Mezzafiore G., Silvera I., « Greek Youth Unemployment Hits 55% as Labour Market Buckles », International Business Times, 10 october 2013.
3 « Free drugs for uninsured Greeks », Ekathimerini, Athènes, 23 avril 2014.
Cet article a été publié dans
CQFD n°131 (avril 2015)
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Paru dans CQFD n°131 (avril 2015)
Dans la rubrique Le dossier
Par
Illustré par Rémy Cattelain
Mis en ligne le 02.06.2015
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22 juin 2015, 19:42, par panos
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et notre dernier 4pages suite à une recente délégation envoyée à athènes : http://www.okeanews.fr/wp-content/u...
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