En Loire-Atlantique
Gilets jaunes de Saint-Nazaire : « Pas possible de rentrer chez soi après ça »
À la veille du samedi 24 novembre, l’assemblée des Gilets jaunes de Saint-Nazaire réunissait environ 200 personnes. Et elle faisait la déclaration qui suit : « Nous n’attendrons plus que la solution vienne d’en haut. Les directions politiques, financières et industrielles qui gouvernent aujourd’hui notre pays seront toujours incapables de résoudre à notre place des problématiques sociales et environnementales que bien souvent elles n’entendent et ne voient même pas. La solution est en nous-mêmes, nous les travailleurs, les chômeurs, les retraités, de toutes origines et de toutes couleurs. Agissons tant qu’il est temps. [...] Notre objectif est de redonner le plus rapidement possible le pouvoir de décision au peuple, par le peuple et pour le peuple. »
Maison du peuple
Dans la foulée, les manifestants, dont certains occupent déjà les ronds-points de la zone portuaire depuis quelques jours, décident de créer une Maison du peuple1 dans l’ancien bâtiment des Assédic — de fait, bien connu par nombre d’entre eux. Depuis le 24 novembre, ce bâtiment spacieux et confortable accueille les assemblées générales quotidiennes. Ici, on peut aussi se requinquer après une occupation de rond-point, manger, dormir, se laver. Et surtout débattre, préparer des actions, dans une ambiance respectueuse de la parole de chacun, sans pour autant se perdre dans des discussions interminables. « Ici, on se sent écouté. On peut décider », dit un participant. « On apprend à se dépouiller du superflu pour gagner tellement plus. » Sans doute, cette pratique autogestionnaire gagne en efficacité car elle est le fait de personnes sans expérience militante pour la plupart, qui s’engagent à fond — loin des spécialistes des discours idéologiques plombants.
Cette Maison du peuple a attiré du monde de partout : de la région mais aussi de plus loin, Cholet, Rennes, Lorient ou Pontivy. Et son modèle a fait des petits dans tout le pays. Mis à part un bref accrochage devant la mairie lors d’une première tentative d’occupation, le choix collectif est plutôt de faire le dos rond pour mieux résister. Face aux interventions policières, les Gilets jaunes se replient, pour revenir ensuite, plus déterminés que jamais. Certains ronds-points sont désormais dotés de cabanes bien équipées, qui permettent de tenir malgré les intempéries. Certains y dorment. On s’y presse autour des feux, on y casse la croûte, on y offre le café aux conducteurs et aux routiers, qui s’arrêtent volontiers. Des dockers donnent un coup de main. Bref, peu avant Noël, le mouvement était loin de « s’essouffler » comme les médias s’efforçaient de le faire gober.
Saint-Nazaire exige
Le mouvement de Saint-Nazaire a dressé ses exigences – ici, on ne parle pas de « revendications » : on exige – avec détermination. Par un vote à l’unanimité, l’assemblée générale du 29 novembre réclamait :
- la démission de Macron ;
- la baisse des prix des produits de première nécessité (carburants, eau, gaz, électricité, logement, etc.) ;
- des taxes sur le kérosène des avions et le fuel lourd des navires, ainsi que des taxes sur leurs pollutions ;
- l’augmentation des salaires, retraites et autres minimas sociaux, sans baisse des cotisations sociales ;
- le rétablissement de l’ISF (impôt de solidarité sur la fortune) et la lutte contre l’évasion fiscale, pour financer les services publics et la transition énergétique ;
- le partage égalitaire des richesses ;
- le développement des énergies renouvelables ;
- la nationalisation du secteur de l’énergie, des banques et des autoroutes ;
- la révocabilité des élus à tous les niveaux ;
- le plafonnement de l’indemnisation des élus à la hauteur du revenu moyen ;
- la dissolution du gouvernement et la refondation de la République par des assemblées représentatives du peuple ;
- le respect du droit des enfants (éducation, santé...) ;
- la traduction dans les faits de la devise nationale : Liberté, Égalité, Fraternité.
Lors de la manifestation du 8 décembre, les Gilets jaunes appellent à une convergence avec la marche contre le climat, réclamant une « transition écologique juste » et montrant ainsi qu’ils sont loin d’être dupes de l’argument utilisé par le gouvernement pour alimenter la pompe à fric.
Ce n’est qu’un débat, continuons le début
De plus, dès que les lycéens et étudiants ont commencé leurs blocages d’établissements, une rencontre fructueuse s’est faite, menant à des actions communes, notamment la protestation lors d’une venue de Ségolène Royal à La Baule, en réaction à ses propos insultants à l’égard des lycéens humiliés par la police à Mantes-la-Jolie : « Ça leur fera un souvenir ! »
Malgré la menace d’expulsion qui pèse sur la Maison du peuple, les Gilets jaunes nazairiens réfléchissent aujourd’hui2 à diverses manières de prolonger son action constructive. « Notre objectif n’est pas de détruire mais bien au contraire de construire un monde plus humain », énoncent-ils dans une déclaration. Le débat continue, tout aussi riche qu’il l’a été pendant ces cinq premières semaines. Car, au fil de ce moment magique — « comme seule la lutte peut en apporter », note un des participants — se fait « un apprentissage à vitesse accélérée », un « accouchement citoyen tellement fort que ça ne peut pas s’arrêter comme ça ». Ce que confirme une autre : « Pas possible de rentrer chez soi après ça. »
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Cet article est issu de notre dossier « Les pages jaunes de la révolte », 15 pages consacrées aux Gilets jaunes dans le n°172 de CQFD, en kiosque tout le mois de janvier.
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Articles déjà publiés en ligne :
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1 À voir sur Lundi matin, le reportage vidéo « Les Gilets jaunes de Saint-Nazaire et leur Maison du peuple ».
2 Cet article a été achevé le 19 décembre 2018.
Cet article a été publié dans
CQFD n°172 (janvier 2019)
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Paru dans CQFD n°172 (janvier 2019)
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Mis en ligne le 30.01.2019
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