Pas de justice, pas de paix
Fuck da Minneapolice
Selon l’autopsie officielle, rien ne prouve que la mort de George Floyd puisse être attribuée à une strangulation, mais plus probablement « à une combinaison de maladies cardiaques et de substances potentiellement toxiques dans son organisme »... Qu’importe les images qui ont révélé au monde entier l’atroce agonie de cet Afro-Américain de 46 ans, le 25 mai à Minneapolis. Qu’importe les 8 minutes et 46 secondes pendant lesquelles le genou du policier (blanc) Derek Chauvin pressait la carotide de Floyd alors que ce dernier suppliait : « Je ne peux pas respirer, je vais mourir »… Qu’importe que le flic assassin ait accumulé 17 plaintes (classées sans suite) contre lui au cours de ses dix-neuf ans de carrière.
Qu’importe l’évidence... La sidération qui nous saisit face à ce déni manifeste renvoie évidemment au nouveau rapport d’expertise médicale dans l’affaire Adama Traoré, décédé après son arrestation en juillet 2016 à Beaumont-sur-Oise. Un rapport qui écarte la responsabilité du plaquage ventral exercé par les gendarmes au profit de l’hypothèse d’« un effort intense dans des conditions climatiques extrêmement élevées, associé à des facteurs pathologiques qui préexisteraient et peut-être une infection cardiaque » 1. D’un côté ou de l’autre de l’Atlantique, les mêmes cautions médicales servent l’impunité des crimes policiers.
Arrêté quatre jours après les faits de Minneapolis, Derek Chauvin a été inculpé pour meurtre « au troisième degré », soit l’équivalent de l’homicide involontaire, ce qui n’a pas eu l’heur de refroidir la colère des manifestants. Au moment où nous écrivons (le 1er juin), on ne sait pas encore si ce soulèvement en puissance, qui a déjà embrasé une trentaine de villes du pays, pourra ébranler profondément – ou conforter – les piliers sécuritaires d’un système raciste aux mains d’un président qui ne manque jamais d’envoyer des signaux caressants aux flics comme aux suprémacistes blancs. Après les premiers pillages, Donald Trump a twitté : « Ces RACAILLES déshonorent la mémoire de George Floyd, et je ne les laisserai pas faire. [...] À la moindre difficulté nous reprendrons le contrôle, quand les pillages commencent, les coups de feu aussi. » Un dernier bout de phrase en forme de permis de tuer et de clin d’œil très référencé, puisque ces mots avaient été prononcés en 1967 par le chef de la police de Miami, avant qu’il ne mate militairement les quartiers noirs de la ville. Et la citation avait été reprise l’année suivante par le politicien ségrégationniste George Wallace, réputé proche du Ku Klux Klan.
Bien entendu, la question de l’inégalité raciale devant la justice américaine et le ciblage des hommes noirs 2 par la police ne peut pas être imputable au simple moment Trump. Le problème est systémique. C’est ce qu’a rappelé le mouvement Black Lives Matter, lequel a émergé, rappelons-le, en 2013, sous le second mandat Obama. La révolte de Minneapolis s’inscrit-elle encore dans la séquence des émeutes de Ferguson et de Baltimore de 2014-2015 ? Cette fois-ci, la détermination des émeutiers semble avoir monté d’un cran, comme en témoignent l’incendie du poste de police de Minneapolis où sévissait Derek Chauvin, les nombreuses voitures de police en feu depuis le début de la révolte ou les émeutes aux portes de la Maison-Blanche. Le pillage des commerces, jusqu’aux boutiques chics de Melrose Avenue, n’est pas sans évoquer la révolte urbaine de Los Angeles de 1992 qui avait donné lieu à une massive redistribution directe de marchandises.
Dès le 30 mai, des couvre-feux ont été promulgués dans plusieurs villes du pays. Tim Walz, le gouverneur du Minnesota, a demandé aux 13 000 soldats et réservistes de la Garde nationale de l’État de protéger les centres commerciaux et les quartiers résidentiels. Au passage, Walz a allégué que 80 % des protestataires étaient des éléments extérieurs au Minnesota, laissant planer un scénario complotiste où se mélangeraient pêle-mêle les cartels narcos, agents russes ou des groupes terroristes des plus variés. Un classique du mensonge d’État vite démonté par les statistiques policières elles-mêmes, puisque 83 % des interpellés de la manifestation du vendredi 29 étaient issus du Minnesota...
On peut aussi s’inquiéter du rôle des suprémacistes « accélérationnistes », dont la stratégie délétère est d’exacerber les tensions par tous les moyens (y compris en faisant feu ou en fonçant en voiture sur les manifestants) dans l’objectif d’une guerre raciale ouverte et de l’instauration de la loi martiale. Mais leur pouvoir de nuisance est sans doute marginal à ce stade. En vue de diviser et de criminaliser les protestataires, le « gangster de la Maison-Blanche » (dixit Robert de Niro et Noam Chomsky) a explicitement désigné les fauteurs de trouble dans un tweet : « Ce sont les antifas et la gauche radicale. Ne ciblez pas les autres ! » Sans surprise, Trump, qui propose de classer les « méchants » antifas comme « une organisation terroriste », opte clairement pour l’option répressive en évoquant « la loi et l’ordre ».
Avec 41 millions d’Américains qui ont pointé au chômage depuis deux mois, peut-on imaginer l’extension du domaine de la rage ? Pour ce faire, il conviendrait d’élargir la solidarité entre les classes populaires noire, latino et indigène et la majorité d’un prolétariat blanc qui pourrait se croire encore épargné par la violence policière 3 – et dont les intérêts font l’objet d’une fallacieuse entreprise de captation de la part de l’administration Trump.
La composition multiraciale et féminine des manifestations est un signal encourageant. Le jeudi 29, des centaines de syndiqués, dont des postiers, des infirmières, des enseignants et des employés d’hôtels de Minneapolis ont signé une pétition en soutien aux manifestants sur le groupe Facebook « Union Members for #JusticeForGeorgeFloyd » : une initiative lancée par les chauffeurs de bus qui refusaient de se voir réquisitionnés par la police pour transporter des manifestants arrêtés. Le même jour, à Louisville, dans le Kentucky, une photo a immortalisé une chaîne humaine de plusieurs dizaines de femmes blanches, faisant barrage entre la police et les manifestants noirs. L’espoir est permis.
1 Selon le résumé qu’en a fait Rodolphe Bosselut, l’avocat des gendarmes.
2 « Si les hommes noirs ne représentent que 6 % de l’ensemble de la population, ils constituaient 40 % des civils désarmés tués par la police en 2015 », souligne l’historienne Sylvie Laurent in « Black Lives Matter, le renouveau militant », Manière de voir (octobre-novembre 2016).
3 Ce qui n’est évidemment pas le cas : en 2019, sur 1 004 personnes tuées par la police, 370 étaient blanches, 235 noires et 158 hispaniques, selon l’institut Statista.
Cet article a été publié dans
CQFD n°188 (juin 2020)
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Paru dans CQFD n°188 (juin 2020)
Par
Illustré par Mc McGill
Mis en ligne le 06.06.2020
Dans CQFD n°188 (juin 2020)
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7 juin 2020, 05:21, par Leslie-keeryan O’Cankly
Il ne faut jamais oublier que les Etats-Unis se sont constitués sur la violence meurtrière et la cupidité. Début des massacres d’Amérindiens peu après l’arrivée des Pionniers anglais ("Pilgrims") alors que les Coureurs des bois français, déjà présents depuis des décennies, ne se livraient qu’à la trappe et au commerce avec les ethnies amérindiennes parmi lesquelles ils prenaient d’ailleurs volontiers femmes. La révolte sanglante contre les taxes imposées par la couronne anglaise ("Tea parties", déjà !) a débouché sur la Guerre d’Indépendance ("Independence War"). La possession et l’exploitation des terres immenses ont introduit l’esclavage des Africains, dans lequel la monarchie française s’est déshonorée (Code noir) et a abouti à la Guerre de Sécession ("Civil War"). Quant à la conquête de l’ouest, elle ne fut que rivalités (éleveurs contre fermiers) et boucheries entre les différentes communautés d’immigrants sur fond de génocide des Amérindiens. Quand un peuple immature et quasi inculte a constitutionnellement le droit de porter des armes, que voulez-vous qu’il advienne sinon que ses minorités ethniques fassent les frais de ses frustrations et de ses rancoeurs ?