Fabrice Boromée : la prison toujours recommencée
Et quatre de plus qui font… 2042
16 juillet 2019, 14 h. Fabrice Boromée1 est jugé à Tarascon (Bouches-du-Rhône) pour avoir violenté un maton. Incarcéré depuis huit ans en métropole, loin de sa Guadeloupe familiale, Fabrice en a passé sept à l’isolement.
L’arbitraire de l’administration pénitentiaire (AP), il connaît : isolement total, négligence dans les soins médicaux, humiliations et violences. Une torture carcérale qui confirme sans aucun doute que la peine de mort (à petit feu) n’a pas été abolie et que les QHS (quartiers de haute sécurité) de sinistre mémoire n’ont pas réellement fermé.
Le 2 décembre 2014, Fabrice Boromée est incarcéré à Arles. Au moment de la distribution du repas, l’absence d’une barquette de lentilles déclenche une altercation entre Fabrice et le surveillant Christian Dumont. Ce dernier s’en sort avec trois jours d’ITT (incapacité totale de travail).
Si Fabrice reconnaît les faits, il en précise les raisons : s’il a frappé ce maton, c’est en réponse aux multiples provocations de sa part ; c’est également en vue de le prendre en otage afin de dénoncer ses conditions de détention et de revendiquer son transfert en Guadeloupe pour rapprochement familial. Avec cet aveu, les motifs avancés prennent une ampleur nouvelle, mais pas de quoi troubler les juges, qui se contentent des déclarations de l’AP : le surveillant n’y est pour rien, Fabrice ment. Les causes de l’agression sont bien une histoire de lentilles... et surtout pas des conditions de détention inhumaines.
Si les justifications exprimées par Fabrice n’ont pas trouvé d’oreilles attentives, c’est d’abord parce que ce dernier ne se fait pas entendre. Le débit de sa parole est rapide et saccadé (Fabrice bégaie de plus en plus depuis qu’il est à l’isolement), son accent créole est prégnant et son attitude trop « vindicative », pas assez lisse et soumise... En conséquence, le tribunal ne comprend visiblement qu’un mot sur deux.
Ne pas comprendre, c’est aussi simplifier à l’excès. Pour cerner un coupable, on établit sa « personnalité ». Pour Fabrice, cela s’est limité aux dix-huit « mentions » inscrites à son casier judiciaire, dont la majorité l’ont été pendant sa détention. Cette longue litanie de « rébellions et violences » n’a pas pour but d’éclairer les juges sur la situation et la trajectoire de Fabrice, mais bien de le décrire comme l’inhumain qui mérite son sort. Pour l’avocat de la victime, la « personnalité » de Fabrice est dès lors « inquiétante » : « une haine dont le détenu a fait la preuve ». « Une fureur », « une violence inacceptable intolérable et grave », complétera le procureur....
Après tout, peut-être qu’une liste de décisions de justice suffit à créer un monstre, à pourrir la vie des gens et faire d’un minot des rues un homme qui n’a plus rien à perdre. Mais alors il faut tout dire : mise en institution avec séparation de la fratrie à la mort de sa mère quand il a 8 ans, placement dans une famille d’accueil violente, première incarcération à 16 ans, puis déportation en métropole pour purger une peine de huit ans prononcée en 2010 (la dernière pour des faits commis dehors), refus de permission pour l’enterrement de son père, nouvelles peines « internes », violences d’agents pénitentiaires ayant entraîné une surdité totale d’une oreille, etc.
Un monstre, vous dit-on ! Qui mérite son sort et que l’on doit mépriser. C’est en quelque sorte ce que s’est évertué à faire l’un des juges quand, comble du cynisme ou de l’ignorance, il interroge Fabrice sur ses conditions de détention. Mais, précisera-t-il : « Pouvez-vous nous en dire deux mots, sans que ce soit trop long ? » Outre l’ignorance d’un quotidien dans les quartiers d’isolement des prisons françaises (rebaptisés « tombeaux secrets » par les détenus), ce juge souhaite donc que Fabrice s’exprime succinctement. Il le fera simplement : « Ma tête est sur le billot... Je suis l’homme à abattre. »
Le procureur aura, quant à lui, une attitude plus directe dans le mépris et l’insulte, en attribuant à Fabrice « un niveau de réflexion zéro ». Clair et limpide !
Il est 15 h. L’audience aura duré moins d’une heure. Le délibéré est sans surprise : quatre ans ferme. À ce jour, entre ses 16 et ses 38 ans, Fabrice a donc passé 7 mois dehors. Il est dorénavant libérable en 2042. Sans compter qu’il lui reste encore deux procès pour des faits similaires, où Fabrice dénonçait ses conditions de détention et réaffirmait sa volonté d’être transféré en Guadeloupe. Encore une occasion de rallonger la peine...
Quant à la « victime », c’est du velours : les indemnités s’élèvent à un peu plus de 46 000 €. « Il s’est offert une villa sur ton dos », blagueront les Éris (Équipes régionales d’intervention et de sécurité) qui ont escorté Fabrice de la prison au tribunal.
À la fin de l’audience, la loi impose au juge de laisser la parole à l’accusé. Fabrice en profite pour rappeler une évidence : « Si la directrice que j’avais vue le matin même m’avait écouté, avait pris en compte mon besoin de rentrer chez moi, avait entendu que la pression montait, rien de tout ça ne se serait passé. Mais elle m’a mal parlé, a été méprisante et voilà où on en est aujourd’hui. »
Hélas pour Fabrice, l’AP ne cherche pas l’apaisement. Contacté, il nous informe que son régime d’isolement a été prolongé au motif que « refuser de sortir de sa cellule pour aller seul en promenade ou en salle de sport prouve une inaptitude à la vie sociale minimale requise pour être en bâtiment comme les autres prisonniers ». Fabrice reconnaît en effet avoir peur que les déplacements, menotté et entouré d’une demi-douzaine d’agents équipés et provocateurs, ne soient qu’une occasion pour la matonnerie de se venger et de le frapper à mort, en réponse à ses multiples tentatives de prises de parole concernant son régime de détention.
Il poursuit (en français, la seule langue qui lui permet de communiquer depuis sept ans car ni les surveillants ni ses codétenus ne parlent créole, sa langue maternelle, et qu’il n’a pas de parloir avec sa famille restée en Guadeloupe) : « Ils ont déjà tué le Guadeloupéen en moi […]. Maintenant, tous les matons de France me connaissent, les syndiqués veulent ma peau suite aux prises d’otage que j’ai tentées. Je ne serai en paix nulle part. L’ulcère me fait super mal au ventre. Mon père me manque, ma famille me manque. C’est trop de souffrance tout ça ! »
1 Sur son histoire, lire aussi « Fabrice, écrou 15 964, isolement », CQFD n° 159 (novembre 2017). Pour lui écrire, c’est à cette adresse : Fabrice Boromée – 368 – Maison centrale – Quartier d’isolement – 5, rue Léon Druoux – 62880 Vendin-le-Vieil.
Cet article a été publié dans
CQFD n°179 (septembre 2019)
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Paru dans CQFD n°179 (septembre 2019)
Dans la rubrique Actualités
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Mis en ligne le 17.10.2019
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