Espagne 1936 : le rêve en armes

par Rémi

Dans son passionnant pamphlet post-situationniste sorti il y a quelques mois, Crédit à mort (Lignes), Anselm Jappe, le meilleur décrypteur de Debord, souligne que le mouvement anarchiste espagnol, en 1936, « a probablement été ce qui s’approchait le plus de la formation d’une contre-société au sein de la société capitaliste » : abolition de toute forme de pouvoir hiérarchisé et des inégalités dans les zones insurgées, suppression de l’argent, du commerce, de la propriété privée, prise en mains collective de toutes les décisions vitales. C’est, avec comme toile de fond, cet exaltant laboratoire révolutionnaire que le romancier castillan Ricardo Vázquez Prada (Dans un village d’Aragon dont je veux rappeler le nom… L’Insomniaque) nous raconte les aventures d’un torero et d’un étudiant libertaires qui rejoignent la fameuse colonne Durruti pour combattre le franquisme, le stalinisme et les anarchistes de gouvernement trahissant leurs companeros en train d’expérimenter la liberté radicale. Et les deux héros du récit ne déchantent aucunement : dans les corps francs anarchistes, tout se passe comme dans les régions libérées, il n’existe pas « de grades militaires, de décorations, d’emblèmes ou de différences dans la nourriture, le vêtement, le logement ». Et chaque délégué de groupes, de centuries, de sections peut y être chahuté ou révoqué à tout moment.

Sur le mode d’organisation idyllique des milices antifascistes anars (la columna de Hierro…) menant en même temps la guerre et la révolution, les documents fortiches ne manquent pas. Je recommande ardemment pour ma part Buenaventura Durruti 1896-1936 (Éd. de Paris), Durruti 1896-1936 (L’Insomniaque), Durruti dans le labyrinthe de Miguel Amorós (Encyclopédie des nuisances), Los Incontrolados de Nestor Romero (Acratie), Chronique passionnée de la Colonne de fer d’Abel Paz (Nautilus), Les Fils de la nuit d’Antoine Gimenez (L’Insomniaque). Ces six brûlots vont beaucoup plus loin dans la description cinglante d’un nouveau monde anti-autoritaire et anti-marchand en devenir que les classiques pas-mal-intéressants-sans-plus de la réflexion critique sur la guerre d’Espagne signés Enzensberger, Bolloten ou Orwell. Facultativement, car c’est surtout anecdotique, on peut vadrouiller dans la réédition par nos potes d’Aden de Dix jours en Espagne, le reportage à chaud frigoussé en 1937 pour la revue stalinienne Znamia par Elsa Triolet, « l’Aragonzesse » de Louis-la-Gâteuse comme la surnommait Henri Jeanson.

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