Vins libertaires et bières sociales
En vin et contre tout
Après Mondovino (2003), Jonathan Nossiter, réalisateur américano-brésilien, revient dans les salles obscures avec Résistance naturelle1, un documentaire qui suit en Italie quatre vignerons rebelles, producteurs de vins naturels.
« C’est la terre qui parle. On est des intermédiaires. Notre force c’est de respecter le plus possible ce que la nature nous donne. Et comprendre le temps de la nature. » C’est ainsi qu’une vigneronne présente sous le soleil de Toscane son domaine viticole. Caméra au poing, Nossiter voyage à travers l’Emilie-Romagne, le Piémont ou encore les Marches à la rencontre de vignerons en biodynamie ou en agriculture bio, tous heureux d’avoir déserté les normes techno-agricoles imposées par l’industrie viticole. Les vins singuliers qu’ils fabriquent artisanalement sont entrés en résistance face à l’industrialisation de la viticulture qui a standardisé le goût mais aussi les pratiques agricoles, les champs de vignes, les paysages ruraux.
Stefano Bellotti produit des vins naturels depuis 25 ans et disserte, tout en marchant dans ses vignes, sur l’art de son métier, la biologie, la philosophie. « Il n’y pas d’histoire sociale sans agriculture », affirme-t-il après nous avoir montré dans ses mains la terre de ses vignes, noire et riche en humus en opposition au triste bloc gris de la terre de son voisin, viticulteur friand de pesticides et autres engrais. « L’agriculture, c’est pas la nature. Dans la nature, ce serait la jungle. L’agriculture est légitime si on reconstruit chaque jour l’équilibre qu’on a détruit », conclut humblement Stefano.
Nossiter a également inséré tout au long de son documentaire des séquences de films (Rosselini, Bresson, Chaplin, Oshima) dessinant un parallèle entre l’univers du cinéma et celui du vin. Apparaît alors, discutant avec les vignerons attablés autour de bonnes bouteilles, Gian Luca Farinelli, directeur de la cinémathèque de Bologne qui évoque la restauration des films anciens. Pour résister aux films standardisés, Farinelli propose de s’inspirer des « vieux films », comme le font les quatre vignerons avec les anciennes pratiques paysannes. L’histoire sociale du cinéma comme du vin, n’est pas à mythifier ou à muséifier, mais est à transmettre comme source de création pour mieux se projeter vers le futur et mieux contourner l’industrie cinématographique comme agroalimentaire.
« Dans le monde agricole en crise, l’amour de la vie survit malgré la brutalité du monde industriel », clamait Pasolini dans son documentaire Comizi d’amore. A l’écran, l’amour de la vie déborde : hommes et femmes discutant de leur métier avec humour, enfants grimpant aux arbres, chiens gambadant en arrière-plan, basse-cour cacophonique, paysages inondés de soleil. Les discussions et considérations autour du rôle contestataire du cinéma et de l’agriculture s’enchaînent au fil des bouteilles éclusées. Et on espère secrètement que l’ivresse sera contagieuse.
La suite du dossier
« Le vin nature est une goutte de vin dans un océan de produits œnotechniques »
1 Résistance naturelle est sorti en salle le 18 juin 2014.
Cet article a été publié dans
CQFD n°122 (mai 2014)
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Paru dans CQFD n°122 (mai 2014)
Dans la rubrique Le dossier
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Mis en ligne le 08.07.2014
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