Roms

En marge et au pilori

« C’est une réquisition citoyenne », affirment les associations solidaires des cinq familles tziganes – vingt adultes et douze enfants – installées depuis la mi-janvier sur un terrain en bordure du technopôle de Château-Gombert, quartier périphérique au nord-est de Marseille.

La neige est aux portes de la ville, les Roms aussi. Et l’imaginaire local les confond avec les loups. « Depuis qu’on est arrivés, on n’a vu personne du quartier, seulement la police », constate Sandou le patriarche. Les riverains ne s’approchent plus de la pinède où ils avaient l’habitude de promener le chien. Ils se contentent de menacer les bénévoles des associations qui apportent vivres, médicaments et couvertures à ces familles démunies, victimes d’expulsions à répétition.

C’est dans ce bosquet coincé entre une école d’ingénieurs et une résidence fermée que le campement de fortune s’est installé. Cabanes, caravanes, tentes faites de bâches de plastique… « Nous, on est tziganes, mais on parle surtout le roumain. » Mariana, jeune mère de trois enfants dont le mari a disparu depuis plus de deux ans, nous reçoit dans la solide cabane que son père, Sandou, a construite en une journée. L’intérieur est accueillant. Des pièces de moquette assurent l’étanchéité entre vieux volets et planches récupérées. Un poêle à bois et l’hospitalité réchauffent l’ambiance. On offre le café, ainsi que des cigarettes. Depuis cinq ans qu’elle est arrivée à Marseille, la famille a d’abord connu le squat, cité Félix-Pyat, puis la galère des campements : à proximité de la gare de Saint-Louis, sous la passerelle de Bougainville, puis dans un entrepôt désaffecté de La Capelette.

Mariana et ses parents vivent des poubelles, de la revente d’habits usagés ou de métaux recyclés. « On vendait sur la porte d’Aix, mais on nous a chassés. La police nous harcèle partout, là où on habite et là où on travaille. Ils jettent nos marchandises à la poubelle. »

Les premiers temps, sur le nouveau campement, il y a eu jusqu’à cinq ou six descentes de police par jour. « La Paf1 a embarqué deux pères de famille, l’un sous le coup d’une OQTF2 et l’autre d’un APRF3 », explique

par Nono Kadaver

Caroline, de la Ligue des droits de l’homme des Bouches-du-Rhône. « Besson a créé une nouvelle infraction, appelée “Abus de droit au court séjour”, qui permet de renvoyer les Roms en Roumanie quand ils dépassent les trois mois de séjour autorisés sans pouvoir justifier de ressources, ou si on arrive à prouver qu’ils font des allers-retours. » En France, une « mesure transitoire » ferme le marché du travail aux Bulgares et aux Roumains jusqu’en janvier 2014.

L’aînée de Mariana, Florina, s’occupe du petit frère et fait la cuisine pendant que les adultes sillonnent la ville en fourgonnette. Elle se souvient du jour où elle a voulu inviter à boire le thé un couple de voisins qui promenait leur chien dans le bosquet : « Ils ont cru que c’était un piège et sont partis très vite. » Les habitants de la résidence fermée, malgré un tract distribué pour les sensibiliser, bombardent d’insultes racistes le site Internet de la médiathèque militante Mille Bâbords, qui sert de tribune aux associations.

Voilà le nouveau maillon faible sur lequel s’acharne le pouvoir. C’est entre autres la présence d’un bivouac de Roms fraîchement expulsés d’un terrain vague voisin qui a servi de prétexte à l’interdiction de l’accès de la pelouse de la porte d’Aix au public l’été dernier. Après la visite du sinistre Guéant, le quartier fut inclus dans un « Périmètre de sécurisation » participant au grand show sécuritaire pré-électoral.

À Château-Gombert, le terrain occupé appartient à 25 % à la ville, 25 % à la communauté de communes et les 50 % restants se partagent entre la Caisse d’Épargne, Dexia et la caisse des dépôts. La ville, tenue par la loi de mettre à disposition des aires d’accueil pour les nomades, fait la sourde oreille et remet toujours à plus tard une table ronde réclamée depuis plusieurs mois. « De toute façon, c’est pas des vrais nomades puisqu’ils ont construit des cabanes, persifle une voisine. On a travaillé toute une vie pour avoir une retraite tranquille, et regardez ce qu’on est venus nous coller sur le pas de la porte ! »

Sandou raconte qu’il y a en ce moment des émeutes contre la vie chère à Bucarest4. Là-bas, il a fait un peu tous les métiers : palefrenier, garçon de ferme, chiffonnier, ferrailleur. « Mais la crise a poussé les non-Gitans à faire les mêmes boulots que nous, et il n’y en a plus assez pour tout le monde. Pourtant, je serais bien resté, parce qu’en Roumanie, il n’y a pas autant de racisme qu’ici. On est prêts à travailler : maçon, femme de ménage… Mais ici, personne ne veut nous faire confiance. » Puis il nuance : « Il y a aussi des gens qui nous aident sans rien demander en échange. » Dimanche 5 février, Mariana a invité une dizaine de ces bénévoles à partager un repas dans sa fière cabane. Derrière leur grille à digicode, les voisins ne savent pas ce qu’ils perdent.


1 Police aux frontières.

2 Obligation de quitter le territoire français.

3 Arrêté préfectoral de reconduite à la frontière.

4 À ce sujet, lire page 7. Bien foutu, ce journal, non ?

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