« La transition d’accord, mais dégagez d’abord ! »
En Algérie, le manifeste du rire

« Un mandat ce n’est un pas un match de foot avec des prolongations » ; « Le système m’a tuer » ; « Nous voulons un formatage, pas une mise à jour du système ». Dans les cortèges algériens, l’humour se veut décapant. Comme pour bien indiquer aux dirigeants que c’est un changement radical que la rue attend. Une verve grinçante qui s’empare aussi des réseaux sociaux par le biais de photomontages ou de publications du type « Après le départ de Boutef, qu’allons-nous faire le vendredi ? »
La plupart de ces slogans sont écrits en arabe dialectal. Comme si les Algériens voulaient se réapproprier leur langue maternelle. Une manière de se démarquer du pouvoir qui a imposé l’arabe académique en ignorant pendant des décennies les idiomes séculaires, y compris le tamazight (berbère).
Comme l’imagination a peu d’égard pour la bienséance, certaines pancartes sont habillées de phrases aussi jubilatoires que provocantes. C’est le cas du frontal « kawdou gaa », qui signifie « allez vous faire… », ou de cette envolée narcotique : « Depuis que le prix du kif a augmenté, nous sommes redevenus conscients ». Souvent accompagnés de dessins ou de photos satiriques, les slogans font souvent mouche : « Non à l’autisme politique » ; « Ce n’est pas avec ceux qui ont créé des problèmes qu’il faut espérer les résoudre » ; « Laisser le peuple construire le pays que vous avez détruit » ; « Pas de recyclage, il faut faire le ménage » ; ou encore « Bad-Oui, non c’est non » (allusion à Noureddine Bedoui, le nouveau Premier ministre censé former un genre de gouvernement d’union nationale).
Un vendredi à Oran, des jeunes ont eu l’ingénieuse idée de parcourir les rues à bord d’un véhicule auquel ils avaient harnaché une barque. Elle symbolisait les embarcations de fortune que les harragas, les émigrés clandestins qui prennent la mer, appellent boti. On pouvait y voir des clichés géants du chef de l’État et d’autres dirigeants, accompagnés de cette phrase : « C’est votre dernière chance ».
« C’est quand même fou ce qui se passe au Venezuela ! »
Que ce soit pendant les marches du vendredi ou dans les cortèges universitaires, ce sont surtout le jeunes qui redoublent de créativité à grands renfort de slogans, de pancartes et de chants. Et si nous sommes loin de l’âge d’or de la chanson engagée, les artistes algériens ont eux aussi opté pour la satire et la dérision. À l’instar de Sadek Democratoz ou Amazigh Kateb, ils sont nombreux à avoir choisi l’humour pour fustiger le système autocratique.
Le dessin de presse n’est pas en reste. Dans le quotidien Liberté Algérie, le dessinateur Ali Dilem tacle allègrement le pouvoir avec ses caricatures incisives. Le 16 mars, il a publié un dessin raillant un Bouteflika complètement à côté de la plaque en train de commenter les images d’un rassemblement retransmises à la télévision. On pouvait lire dans la bulle partant du Président : « C’est quand même fou ce qui se passe au Venezuela ! » Preuve que si le pouvoir est à bout de souffle, le peuple, lui, est plein de ressources.
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Cet article a été publié dans
CQFD n°175 (avril 2019)
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Paru dans CQFD n°175 (avril 2019)
Dans la rubrique Le dossier
Par
Illustré par Nadjib Bouznad
Mis en ligne le 13.05.2019
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Dans CQFD n°175 (avril 2019)