Edito et sommaire du n°165

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En une : « Répression partout, défaite nulle part ! » de Cécile Kiefer.

Édito : Ubu froid

« Je ne suis que l’émanation du goût du peuple français pour le romanesque »

(Emmanuel Macron, avril 20181)

C’est entendu : la pratique du pouvoir rend fou, mégalo, idiot, malfaisant et carrément laid. Cela s’est tant vérifié au cours de l’histoire récente que notre capacité à encaisser les pires sorties médiatiques s’en est trouvée solidement renforcée. Il arrive pourtant que l’on tombe sur une déclaration tellement absurde qu’elle suscite l’étonnement, voire la sidération. Ainsi de cette sortie du Président des lisses, expliquant que le peuple français l’aurait choisi pour sa dimension « romanesque ». Et de tartiner longuement et ô combien platement sur son amour des Lettres (poussiéreuses, de préférence).

Au-delà des questions évidentes que suscite cette déclaration – a-t-il fumé la moquette élyséenne ? Est-il un agent provocateur à la solde du Zbeulistan2 ? –, elle a le mérite d’illustrer l’absolue déconnexion entre les élites au pouvoir et leurs supposés administrés. Macron se voit comme un personnage « romanesque » alors même que le moindre comptoir de PMU ou pilier de grève tombera d’accord sur un point : ce gonze est par définition un robot sans âme, l’archétype du technocrate libéral vidé de toute substance humaine, marionnette sautillant dans le néant. Comme l’a dit Sarkozy : « Macron, c’est moi en mieux »3. Comprendre : en pire.

« Les Français sont malheureux quand la politique se réduit au technique, voire devient politicarde », a ajouté l’enflé, ses chevilles si gonflées qu’elles empiètent visiblement sur son cortex frontal. « Ils aiment qu’il y ait une histoire. J’en suis la preuve vivante ! » Face à un aveuglement si éclatant, qu’illustre largement la politique répressive et antisociale de cet Ubu froid, grandit l’espoir d’un plantage en bonne et due forme. L’histoire en cours, n’en déplaise à sa seigneurie, est bien du côté de la rue, de cette révolte qui couve à tous les coins de l’Hexagone, des amphis au bocage, des manifs aux occupations.

On balancera donc aux ordures sans hésiter son mauvais roman national, politicard et faussement « disruptif », peuplé d’un jargon imbitable, pour se focaliser sur la seule littérature qui vaille, celle qui n’a pas abdiqué toute prétention en matière d’imaginaire et se nourrit d’étincelles. Notre pavé dans sa mare croupie.

La Rédaction

Dossier : Répression partout, défaite nulle part

L’époque est troublante. Le tout dernier président, avec son brushing discrètement thatchérien, semble venu là pour donner un dernier tour d’écrou. Pour tailler dans les budgets tout autant que lâcher la bride aux forces de l’ordre. Sauf que tout ne fonctionne pas comme prévu. Et que la machine répressive, pourtant si perfectionnée, se grippe un chouia. Au fond, les despotes de cabinet se sont eux-mêmes privés des moyens d’appliquer leur programme dans toute sa brutalité. Pour donner un tour de vis supplémentaire, voilà que les forces (de l’ordre) leur font défaut. 2 500 gendarmes dans les champs de Notre-Dame-des-Landes pour contrôler 16,5 kilomètres carrés. Plusieurs centaines à Bure. Combien pour les universités, à Tolbiac ou à Nanterre ? Tant de moyens, si peu de réussites. Parce qu’en face, les mouvements sociaux résistent, tiennent bon, ne lâchent pas.

Avec sa police suréquipée et ses passages en force législatifs, l’autoritarisme de marché ressemble en réalité à un molosse aux pieds d’argile. C’est ce qui saute aux yeux quand on le voit s’enliser face à la Zad, à Bure, lors du procès de Tarnac ou dans sa veule gestion de l’urgence sociale. Il y a de la rage autant que du désespoir dans sa violence froide, à la fois calculée et absurde. La négation méthodique du bien commun commence à se voir comme un faux nez au milieu de sa figure.

Une vérité s’impose : la toute-puissance de l’économie, partie à la conquête des moindres recoins de la planète comme des consciences, se trouve un peu partout confrontée à des territoires qui désirent lui échapper.

Comme on l’a vu dans les montagnes du Sud-Est mexicain ou dans le Rojava syrien, des espaces s’ouvrent, qui se refusent à la privatisation et au jeu de massacre. Une insurrection de l’esprit autant que de la motte de terre. S’y reconnaîtront toutes celles et tous ceux qui souffrent dans leur chair les guerres du capital. Les cheminots et les postiers qu’on veut crucifier sur des courbes de croissance, les vieilles et les soignantes maltraitées des Epad, les paysans et les ouvriers gommés par les statistiques, les étudiantes victimes de tri sélectif, les migrants qui inventent des jungles malgré tout humaines, les Rroms et leurs cabanes parachutées dans des limbes urbaines, les femmes soulevées contre le viol et la marchandisation de leur corps, une jeunesse à mille banlieues de se rendre, des enfants à l’imagination débordante…

Alors oui, répression partout. Dans les facs, aux frontières et dans les quartiers. Mais si on regarde bien, on devine, au-delà des visières rabattues et de l’intox médiatique, la fébrilité des gouvernants. Si on respire un grand coup, on sent que le printemps est de retour. Et si on se parle de toi à moi pour récupérer le nous qu’on nous a volé, on met au jour une évidence : pour l’instant, et un peu partout, c’est jouable. La vie est là, à portée de main. Nulle part, la défaite n’est définitive.

Résister et rebondir : Zad l’usage de la farce > Ce devait être la fin de la Zad, son chant du cygne. 2 500 robocops contre quelques centaines de pelés divisés — le combat semblait perdu d’avance. Sauf que non. Au fil des jours, la résistance s’est organisée et les forces vives ont afflué sur la zone. Récit subjectif de quelques jours passés sur place, entre barricades et popote.

La Zad, tel le Phoenix > « Cabane ! » Dans les jeux de mômes, c’est toujours le bon moyen de se protéger, de sortir du jeu. Le mot magique, et hop, à l’abri. Mais en ce mois d’avril, la Zad n’a rien d’une cour de récré. Et les bataillons casqués de l’État ne jouent pas. Dans leur collimateur, les cabanes. Les voilà promues ennemies publiques numéro un et condamnées à une destruction sauvage. Ce qu’un huissier hautain, commis sous haute protection sur ce théâtre d’opération guerrière, appelle « déconstruction » – drôle d’euphémisme.

Répression et résistance en Meuse : Bure, le nucléaire à la matraque > Presque un cas d’école. A force de procès iniques, d’opérations brutales et de surveillance constante, les promoteurs du centre d’enfouissement de bure ont encouragé ce qu’ils voulaient abattre. Sur place, les opposants sont de plus en plus nombreux à s’installer. Ailleurs, les comités de soutien se multiplient. Retour sur un fiasco répressif.

Elsa Dorlin – Se défendre : La violence comme seul moyen de faire histoire > Les livres, ceux qui comptent du moins, n’adviennent pas par hasard. Ils débarquent un beau matin, et c’est comme s’ils prenaient la parfaite mesure de l’air du temps. De ce qui est en train de se jouer. Ouvrages précieux par ce que se situant sur l’étroit fil du moment – ils disent le déséquilibre du monde tout en donnant des clés pour ne pas tomber. Pour comprendre ce qui est en train d’advenir, là maintenant, tout de suite. Se défendre – Une philosophie de la violence est l’un de ces livres rares. Signé de l’universitaire Elsa Dorlin, professeure de philosophie à Paris 8, il revient sur l’histoire de l’autodéfense et creuse la question du rapport à la violence, de façon lumineuse et combative. Et donne des clés pour se ressaisir enfin de la force collective et mettre fin au sentiment d’impuissance généralisé. Boum, la parole est à Elsa Dorlin.

« Ils commémorent, on recommence » : Où sont passés les damnés de Nanterre ? > 9 avril, les CRS expulsent violemment un amphi occupé de la fac de Nanterre, sur demande de son président. Une stratégie pas très efficace... Récit au cœur d’une lutte déconcertante, mais bouillante.

Bataille duraille : Des cheminots remuants > Dans une civette des quartiers Est de Marseille, CQFD a rencontré des cheminots très remontés contre la casse d’un service public autrefois emblématique. Si les motifs de la colère sont multiples, la détermination reste une et indivisible.

Un avril à Montpellier : Ça va Pétel ! > Hardi, camarades étudiants ! L’université de droit et de science politique de Montpellier n’en finit pas de ruer dans les brancards. Le mois passé, quelques occupants de la fac avaient écrit à CQFD pour raconter l’attaque de gros bras subie le 22 mars et la belle réaction qui avait suivi. Voilà qu’ils reprennent la plume pour décrire un mois de joyeuse agitation et de convergence des luttes.

Postiers en grève à Marseille : Délit de barbecue > Pour les postiers marseillais, les raisons de faire grève ne manquent pas : dégradation de leurs conditions de travail et mépris de leur hiérarchie. De barbecue en manif, ils tentent de mobiliser. Récit d’une histoire vécue.

Actu de par ici et d’ailleurs

Et pendant ce temps-là, de l’autre côté de l’atlantique : La fusée décolle mas la Guyane reste au sol > Au printemps 2017, un vaste mouvement social oblige le gouvernement Hollande à promettre des investissements publics. Mais ses engagements s’avèrent bien en deçà des besoins de la population. Un an plus tard, les retards de développement restent ahurissants.

Karamba et les autres : Pas un problème mineur > Sans toit, hébergés par des solidaires ou dans des centres provisoires, les mineurs isolés étrangers font l’expérience crue de la France. Au bout du chemin, la galère continue.

Le Roundup à la barre : Vous reprendrez bien un verre de glypho ? > C’est l’une des bêtes noires de Monsanto – vrai titre de gloire. Mais Marie-Monique Robin n’est pas du genre à se reposer sur ses lauriers. Dix ans après Le Monde selon Monsanto, la journaliste signe ainsi un documentaire glaçant sur l’herbicide phare de la multinationale : Le Roundup face à ses juges. Un film qu’elle présentait récemment à Perpignan. Compte-rendu.

Sous les pavés, la naphtaline : Mai 68 commémomifié > En cinquante ans, la chienlit s’est bien aseptisée. Entre folklore vidé de sa substance rebelle et occasion de remplir le tiroir-caisse, le souvenir de Mai 68 n’a plus rien à voir avec ce qu’a vraiment porté le mouvement. Totalement dépolitisée, sa commémoration s’annonce aussi copieuse qu’insipide.

Un écrivain fantôme sur les planches : Voyage au bout de Traven > La pièce virevolte, pendant près de trois heures, jusqu’à se muer en quasi-épopée, drolatique et intense. Centrée sur la figure d’un écrivain mystérieux et fantasmé, elle prend acte de son impossible biographie pour mieux rebondir avec jubilation. Rencontre avec Frédéric Sonntag, auteur et metteur en scène de B. Traven.

Déambulation à Saint-Étienne : Un carnaval de l’inutile pour se gausser des grands projets > Lancé à l’initiative d’un collectif d’habitant.e.s remontés contre l’extension d’une carrière dans le Pilat et d’opposant.e.s au projet d’autoroute A45, le Grand carnaval de l’inutile rassemblait pour la première fois à Saint-Etienne le 24 février, quelques centaines de participants venus d’ici et d’ailleurs. Retour sur la naissance d’un beau bébé hétérogène, déterminé et facétieux.


1 Entretien accordé à La Nouvelle Revue Française (mai 2018) ; certains passages ont été divulgués avant publication.

2 Zbeulistan : pays du « zbeul », coqueluche linguistique des insurgés de Tolbiac (entre autres), dont on serait bien en peine de fournir une définition. Disons que cela renvoie à une effervescence révoltée, emplie d’étincelles et d’envolées éthylo-bakouniennes. Mantra : « Sweet dreams are made of zbeul. »

3 Phrase prononcée par l’immonde en question en juin 2017 et rapportée par Le Canard Enchaîné.

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Paru dans CQFD n°165 (mai 2018)
Dans la rubrique Édito

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Par L’équipe de CQFD
Illustré par Cécile Kiefer

Mis en ligne le 03.05.2018