Droit d’asile : Petits papiers d’Arménie

Depuis le rejet de leur demande d’asile, la famille Boyadjyan est sous le coup d’un ordre de quitter le territoire français (OQTF) et le Centre d’accueil de demandeurs d’asile (Cada) Saint-Charles, à Marseille, les pousse dehors. Pourtant, en Arménie comme en Russie, leur vie serait en danger. La solidarité s’organise.

Début décembre, Araksia est seule à la maison avec le petit Alexandre quand on frappe à la porte. C’est l’assistante sociale du Cada, accompagnée d’un émissaire de la préfecture, qui vient « faire l’état des lieux ». Constatant que la famille est toujours installée dans ses meubles, elle menace à mots couverts d’une intervention de la police aux frontières (PAF). « Ils vous mettront dans un endroit d’où vous n’aurez pas le droit de bouger, avant expulsion. » Araksia, la gorge nouée, rappelle qu’elle et son mari sont à la recherche d’un appartement, mais que sans papiers, c’est compliqué. Elle ajoute qu’une demande d’aide juridictionnelle vient d’être déposée pour faire appel de l’OQTF. « Ce n’est pas suspensif  !, tranche alors la charmante travailleuse sociale. Vous savez à quoi vous vous exposez ? Vous prenez le risque d’être expulsés non seulement de ce logement, mais aussi du territoire français. »

La famille Boyadjyan est arrivée à Marseille en mai 2012 en provenance de Moscou, qu’elle a fuie à cause de persécutions. Araksia et Vruyr, son mari, possèdent un passeport russe, puisqu’ils sont nés à l’époque où l’Arménie faisait partie de l’URSS. «  Mon père était militant du parti de Ter-Petrossian, le premier président de l’Arménie indépendante. En 2008, de forts soupçons de fraude ont pesé sur l’élection de Serge Sargsian et des manifestations d’opposants ont été durement réprimées – il y a eu des morts. Le nouveau pouvoir a accusé mon père d’avoir provoqué ces troubles et nous avons été obligés de nous exiler à Moscou. »

Vruyr avait déjà des contacts professionnels en Russie – il est informaticien, a travaillé dans la banque. Début 2012, on lui propose un poste de coordinateur de la campagne électorale de Poutine dans la petite ville de banlieue où la famille réside. Il accepte, mais s’aperçoit vite qu’il ne contrôle pas tout, qu’un appareil de propagande parallèle manie de grosses sommes d’argent et achète des voix. Les élections passées, des manifestations massives contestent le scrutin et certaines irrégularités remontent à la surface, en particulier dans la circonscription de Vruyr. Seul non-slave de l’équipe, celui-ci est désigné comme bouc émissaire – « Il y a beaucoup de racisme contre nous là-bas, nous sommes chrétiens apostoliques, pas orthodoxes, contextualise-t-il. J’ai perdu un ami, il a reçu une dizaine de coups de couteau dans le métro, agressé par une bande d’ultra-nationalistes qui chassent les non-Russes au faciès. » La police fait irruption chez lui, met l’appartement sens dessus dessous, bouscule sa femme et son beau-frère, terrorise les enfants, qui en feront longtemps des cauchemars.

Une fois encore, la famille prend la route de l’exil. En avril 2012, ils traversent l’Ukraine en échange de 12 000 euros payés aux passeurs. 12 000 euros pour Vruyr, Araksia et Levon, leur fils. Alexandre, le petit dernier, est né après leur arrivée à Marseille, où Vruyr avait étudié et où ses parents ont obtenu le statut de réfugiés politiques. Une fois leur demande d’asile déposée, les Boyadjyan embrassent leur nouvelle existence avec envie. Araksia prend des cours – elle parle aujourd’hui un français assez fluide –, Vruyr devient bénévole pour la Banque alimentaire et Levon, inscrit à l’école élémentaire des Abeilles, apprend la mandoline au conservatoire.

En novembre 2014, après le rejet de la demande d’asile, l’école se mobilise en soutien à la famille de Levon. Deux promesses d’embauche sont versées au dossier en vue d’une régularisation, un appartement alternatif est recherché, des collectes d’aliments sont organisées devant l’établissement… L’aide juridictionnelle ayant enfin été accordée, les recours vont pouvoir être engagés, ce qui, contrairement à l’affirmation de l’assistante sociale, devrait avoir un caractère suspensif pour la procédure d’expulsion locative, ainsi que pour l’OQTF. Mère du meilleur ami de Levon, Cathy, bien que novice en activisme, a pris cette bagarre à bras-le-corps. « Quand mon fils me demande pourquoi on doit sauver Levon , alors qu’on est en France, je ne peux pas le regarder dans les yeux. J’aimerais qu’il puisse trouver dans ma réponse que notre réseau de soutien est le plus puissant parce qu’humain. »

Revigorée par tous ces gestes de solidarité, Araksia s’accroche  : « J’ai frissonné au moindre bruit pendant les heures qui ont suivi la visite de l’assistante sociale, mais là, ça va un peu mieux. »

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1 commentaire
  • 18 février 2015, 20:55

    Qui plus est,et ce qui rend le cas des arméniens complètement schizophrénique,c’est que l’Arménie refuse de reprendre ses transfuges,ce qui en fait des apatrides. Les autorités françaises savent très bien que leur OQTF ne sera jamais suivie d’effet. A Béziers,nous avons le même problème avec un liquidateur de Tchernobyl(merci,la reconnaissance !)et sa femme. Quand efficacité rime avec humanité...