Série TV ­– S02E01 – The Honourable Woman

Des conflits et des femmes

Previously dans Ciquiouéfdi : Dans cette chronique, nous essayons de parler de séries télé peu connues mais pas sans intérêt. Pour cette seconde saison, nous irons voir de l’autre côté de la Manche. God save the série !
D.R.

Pré-générique : Nessa Stein pose son doigt sur la serrure biométrique et pénètre dans une glaciale safe room, un coffre-fort à l’allure de frigo fait chambre. Unique lieu dans lequel la jeune et élégante baronne, redoutable présidente de la puissante fondation Stein, trouve le sommeil depuis son mystérieux retour de Palestine.

Générique : The Honourable Woman, mini-série (une saison, 8 épisodes) écrite et réalisée par Hugo Blick, diffusée au cours de l’été 2014 sur BBC Two. Avec Maggie Gyllenhaal, Lubna Azabal, Andrew Buchan, Stephen Rea…

Leur père était un magnat de l’industrie militaire au service du jeune État hébreu. L’Anglo-Israélienne Nessa et son frère Ephra transformeront ce lourd héritage en une fondation philanthropique pour la paix au Proche-Orient ; soutenant la création d’un État palestinien, les écoles et universités ouvertes aux deux peuples et surtout le développement des télécoms en Cisjordanie. Mais, alors qu’un appel d’offres très important de la fondation Stein vient d’être emporté par une société palestinienne, le patron de cette dernière se fait suicider ! Le lendemain, Kasim, le fils d’Atika, l’amie palestinienne de Nessa, est kidnappé… Entre espionnage (mais sans James Bond) et thriller politique, entre Londres, Gaza et Jérusalem… The Honourable Woman est sans conteste une de ces excellentes séries british qu’il serait dommage de rater.

Évacuons d’abord les louanges bien méritées : un scénario complexe mais qui se tient bien de bout en bout. Une réalisation « à l’anglaise » : c’est à dire plus subtile et ingénieuse que l’homologue ricaine. Et une interprétation royale ! Mention spéciale pour Gyllenhaal (Golden Globes pour l’occasion), qui parvient même à faire ressentir son plaisir à jouer ce rôle, et pour le toujours excellent Stephen Rea qui interprète ici un enquêteur du MI6 en mode Droopy flegmatique, non sans humour.

Penchons-nous maintenant sur l’aspect politique de la chose… Tout au long des épisodes, on se demande pour quel camp la série va finir par pencher, dans quel manichéisme elle finira par tomber. La réponse ? Aucun. D’abord le conflit n’est jamais présenté à travers le prisme déformant de la guerre de religions, mais bien par celui de deux peuples engagés dans une lutte inégale. Entre colonialisme et apartheid israélien (l’épisode centré sur les relations entre l’université et Tsahal est d’une redoutable efficacité), terrorisme sanglant, guerre d’espionnage, prise d’otage, check-point odieux et corruption généralisée… Les Occidentaux en prennent aussi pour leurs grades. Car les Américains ne sont jamais très loin, et les rivalités dans les services de renseignement anglais et U.S. peuvent faire autant de mal qu’une bombe ou qu’une colonie de peuplement. Même les philanthropes ne s’en sortent pas indemnes, car comme le dit un personnage palestinien à Nessa Stein : « C’est pas de téléphone qu’on a besoin. Mais d’un pays ! » Et en effet, on se demande aussi si la création d’une école d’ingénierie télécoms est la priorité pour Ramallah !

Au fur et à mesure que l’intrigue se déroule, les terribles vérités se révèlent dans des entrelacs de mensonges. Les masques qui cachent d’autres masques tombent et les coups de théâtre rythment le suspense. Mais toujours avec ce souci de traitement équitable jusqu’au dénouement où, dans un twist de toute beauté, tant sur le plan des personnages que sur celui des relations internationales, apparaît une sorte de politique fiction, un « et si… ? » utopique. À la fin, The Honourable Woman va jusqu’à envisager un possible début de solution. Un début de solution qui n’est pas sans faire penser aux derniers jours de l’administration Obama mais, chut ! je ne vais pas spoiler la fin !

À mon humble avis, Nessa Stein est une des héroïnes des plus ambiguës, touchantes, profondes et complexes que j’aie vues sur un écran. En cela elle me fait penser à Mia dans… dans la série que je chroniquerai le mois prochain !

Julien Tewfiq
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Paru dans CQFD n°151 (février 2017)
Dans la rubrique Previously dans Ciquiouèfdy

Par Julien Tewfiq
Mis en ligne le 13.11.2019