Macron, tête de cron

De quoi ses insultes sont-elles le nom ?

Ouvriers «  illettrés », gens « qui ne sont rien », « alcooliques » du Nord, « fainéants »... La liste des insultes made in Macron est déjà longue comme le bras. Pour les analyser, entretien avec une spécialiste de la question, la philosophe et sociologue Julienne Flory, auteure de l’ouvrage Injuriez-vous - Du bon usage de l’insulte1
Par Etienne Savoye.

Y a-t-il quelque chose de nouveau dans cette libération d’une parole présidentielle très méprisante ?

« Pas tant que ça. J’ai en fait été étonnée par l’ampleur de la polémique autour de la sortie de Macron sur ‘‘ les fainéants, les cyniques et les extrêmes ’’. Elle est choquante, certes, mais s’inscrit dans un univers attendu. Depuis le début de son règne, Macron s’est posé en mâle dominant sorti de la cuisse de Jupiter, dont le rôle sera forcément de faire régner l’ordre et les valeurs de la réussite telle qu’il la conçoit. En évoquant la fainéantise des opposants à la loi Travail, il met donc en avant ce qu’il voit comme le fil directeur de son action, le refus de la passivité. Dans son monde, ceux qui ne sont pas actifs méritent ce qui leur arrive. Il estime d’ailleurs qu’ils feraient mieux de travailler pour se payer des costumes, ainsi qu’il l’a signifié à un ouvrier gréviste. »

Au départ, il renvoyait pourtant une image plus « gentil garçon » qu’un Sarkozy...

« C’est certain qu’il ne dirait jamais ‘‘ pauvre con ’’ et qu’il n’est pas dans le même champ lexical. Par contre, passée la phase de séduction précédant les élections, il a tout de suite embrayé sur cette idéologie hypocrite du self-made-man. En clair : si lui est arrivé en haut, tout le monde peut le faire. Et ceux qui galèrent sont forcément des fainéants. C’est toute l’histoire de la domination sociale : elle se dissimule toujours derrière de fausses évidences.

Il a beau jeu de prétendre que ceux qui se sentent concernés sont justement les fainéants. Car il n’y a pas de groupe se revendiquant comme tel, personne pour s’indigner autrement qu’en ordre dispersé. On ne sait quoi lui répondre, alors même qu’il vise en premier lieu la classe ouvrière. C’était patent quand il a évoqué en janvier l’alcoolisme des habitants du bassin minier du Nord.

Je suis convaincue que ses paroles sont de simples exercices de communication. Rien d’un dérapage ! Il veut simplement montrer son autorité, comme tous les dominants. Il s’adresse à ses proches, pas au peuple. Et il s’inscrit dans cette tradition surplombante de la Ve République. En remontant plus loin, on pourrait citer la célèbre morgue de Marie-Antoinette disant ‘‘ Ils ont faim ? Qu’ils mangent de la brioche ! ’’ »

Vous dénoncez dans votre livre le déséquilibre des forces en présence. Un président peut injurier les citoyens, pas l’inverse...

« Ce n’est plus si univoque. Le cas de Sarkozy lâchant ‘‘ pauvre con ’’ à un quidam du salon de l’agriculture est intéressant, parce qu’il s’est retourné contre lui. Quand l’affaire du manifestant portant une pancarte lui appliquant les mêmes termes a été portée en justice, elle s’est vite dégonflée. La Cour européenne a ainsi invalidé le délit d’offense à président de la République.

Reste que le mépris de classe est d’autant plus terrible qu’il est porté par la plus haute instance de l’État. Et ça a des répercussions sur les plus petits rouages. De même que la parole policière l’emporte sur celle des citoyens (d’où la multiplication des cas d’outrages), la parole des puissants avance en terrain favorable. La marque d’une domination sociale généralisée. »

On aimerait répliquer par des injures efficaces, mais le terrain des insultes ordinaires est miné...

« Il est vrai que beaucoup d’injures ordinaires portent des éléments sexistes, homophobes, virilistes. Le terme ‘‘ enculé ’’ renvoie par exemple à cette prétendue passivité et au phallus triomphant. Idem pour ‘‘ femmelette ’’ ou ‘‘ pédé ’’. En fait, il est difficile de trouver des insultes ne relevant pas d’une forme de domination sociale. Il y a pourtant des échappatoires. Des élèves de l’université Paris VIII m’ont ainsi raconté qu’elles transformaient les inscriptions murales ‘‘ fils de pute ’’ en ‘‘ fils de Pétain ’’. De même, on peut se réapproprier les insultes, à l’image des associations de défense des droits des homosexuels reprenant à leur compte le terme ‘‘ pédé ’’. Ou des participants à la Mad Pride revendiquant les termes ‘‘ schizo ’’ ou ‘‘ fou ’’. »


1 Les Empêcheurs de penser en rond / La Découverte, 2016.

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