Dans les pas de Murieta
DESPERADOS : ce terme américain désignait les bandes de hors-la-loi qui sévissaient dans le grand sud-ouest des États-Unis au XIXe siècle. Déformation du castillan desesperados, soit « désespérés » : tels étaient probablement ces bandits latinos en cavale permanente devenus étrangers sur leurs terres, sans patrie ni frontières, aux prises avec leurs nouveaux conquistadors : les Yankees. En 1823, presque tous les pays d’Amérique latine ont gagné leur indépendance. Le président américain James Monroe livre alors un message au Congrès stipulant que désormais « le continent est fermé à toute tentative de colonisation par les Européens », et que par conséquent, « toute intervention européenne sera considérée comme une manifestation inamicale ». Cette déclaration posait déjà les premiers jalons de l’impérialisme yankee. À la lumière de la doctrine Monroe apparaît le concept idéologique de la manifest destiny selon lequel les États-Unis, et eux seuls, avaient pour « mission divine » de répandre la civilisation et la démocratie sur le continent américain. Accessoirement ils commenceraient par étendre leur pré carré aux rivages du Pacifique, à l’or des Rocheuses et réintroduiraient l’esclavage… En 1836, le Texas, où s’étaient installés des centaines de familles de planteurs esclavagistes américains, fait sécession du Mexique, abolitionniste depuis 1829. Le Texas rejoint l’Union en 1845, suivi de près par la Californie au terme de la guerre de 1846-1848 toujours contre le Mexique. Quid des Latinos qui vivaient déjà sur place ? La découverte en 1848 d’importants gisements d’or en Californie provoque la grande ruée vers l’Ouest. Les Mexicains de la région ainsi que de nombreux migrants chiliens et péruviens ont une grande expérience de l’orpaillage et prospectent d’excellents filons. Mais les Yankees n’entendent pas partager avec les Latinos. Leur rapacité se pare de tout un arsenal de mesures répressives à l’égard de ces étrangers. Le racisme et la xénophobie s’exacerbent et les Latinos sont pourchassés, lynchés et expulsés hors des zones aurifères.
Dans ce climat de violence et d’arbitraire, beaucoup se tournent vers le banditisme. Les plus fameuses bandes, telles que « la Guadalajara », « la Mariposa », celle de Narrato Ponce, du bandido Leiva ou de Tiburcio Vasquez sont le cauchemar des colons américains. Vers 1850, les vols de chevaux et les attaques de ranchs et de diligences se généralisent. Une bande dirigée par Joaquin Murieta et son compagnon Manuel Garcia, alias Three Finger Jack, se fait remarquer par son audace. Selon la légende, la carrière criminelle de Murieta commence après le viol et le meurtre de sa femme, le lynchage de son frère et les sévices qui lui ont été infligés par des chercheurs d’or anglo-américains. Dans la plus pure tradition des justiciers qu’Hollywood transformera en icônes du western, Murieta traque et exécute les cinq hommes responsables de son calvaire avant de se mettre à rançonner les yanquis. Toutes les actions commises par des bandoleros sont désormais attribuées à Murieta.
C’est la tête qu’il fallait pour servir d’exemple. Insaisissable, elle est mise à prix pour mille dollars. En mai 1853, les gouverneurs de Californie autorisent un certain Harry Love à former une compagnie de rangers afin de pourchasser le desperado avec trois mois d’exclusivité pour la prime. Peu de jours avant l’expiration du délai,la compagnie tombe sur un groupe de Mexicains autour d’un feu. Certains parviennent à s’enfuir mais deux d’entre eux sont tués. Harry Love coupe la tête de l’un et la main de l’autre et ramène le tout dans une jarre de brandy comme preuves de son succès. Les autorités conviennent qu’il s’agit bien de la tête de Murieta et de la main atrophiée de Three Finger Jack. Hop, par ici la prime ! Au regard de la loi,Murieta a payé pour les autres mais aux yeux des Latinos, un symbole était né… Non content d’avoir touché la prime, Harry Love exploita la curiosité morbide de la populace en exhibant dans les saloons ses trophées de chasse pour un dollar l’entrée. La relique disparut dit-on dans le tremblement de terre qui ravagea San Francisco en 1906.
Aujourd’hui encore, Chiliens et Mexicains se disputent la provenance de Murieta. Pablo Neruda lui a consacré une sorte de pièce de théâtre, épique,poétique et musicale,Victor Jara une chanson. Sa geste est relatée par les corridos Corridos : chants populaires mexicains relatant la geste des révolutionnaires et des bandits des années 1909-1920 et aujourd’hui des narcotrafiquants, entre autres. du nord du Mexique. De la Patagonie au Rio Grande si l’on n’a toujours pas de certitude sur son origine, on se réconcilie volontiers sur le fait que Joaquin Murieta n’était pas un « maldito gringo ».
Cet article a été publié dans
CQFD n°77 (avril 2010)
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Paru dans CQFD n°77 (avril 2010)
Dans la rubrique Les vieux dossiers
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Mis en ligne le 22.05.2010
Dans CQFD n°77 (avril 2010)
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