Slip politique
Contraception au masculin
Du préservatif à la vasectomie en passant par la contraception thermique ou hormonale, la contraception masculine englobe des méthodes très différentes1, utilisées pour la plupart depuis des décennies. Pour autant, cela fait à peine quelques années que la question fondamentale qu’elles sous-tendent, à savoir la répartition plus équitable de la charge contraceptive, trouve un écho dans les médias et la société.
Si aujourd’hui la responsabilité du contrôle des naissances incombe dans l’écrasante majorité aux femmes, de plus en plus d’hommes se sentent concernés par le sujet et font la démarche de se contracepter. Certains optent pour la vasectomie, une opération visant à empêcher le transport des spermatozoïdes des testicules au pénis en coupant les canaux déférents. D’autres choisissent le port d’un anneau ou d’un slip chauffant qui permettent de remonter les testicules dans le bas-ventre, bloquant ainsi la fabrication des spermatozoïdes (voir ci-contre). D’autres encore préfèrent une contraception hormonale à base d’injections d’énanthate de testostérone, un stéroïde qui inhibe la production de spermatozoïdes.
Mais que ce soit pour soulager une partenaire, par désir de s’approprier le contrôle de sa fertilité ou simplement pour ne pas avoir d’enfants, le choix pour un homme de se contracepter autrement qu’en enfilant un préservatif vient fatalement heurter les représentations de la masculinité virile.
Pierre2, qui s’est fait vasectomiser en 2005 après avoir longuement cherché un urologue acceptant de l’opérer, évoque ces imaginaires charriés par la contraception masculine : « Il y a par exemple tous les fantasmes autour de la capacité à continuer à éjaculer. La vasectomie vient bousculer la virilité, la sexualité. Pour les gars ça titille quelque chose de très sensible.3 » Quelque part, enlever à l’homme son statut de fécondateur reviendrait à ébranler un pan de sa position sociale dominante.
Les suspicions à l’égard de la contraception masculine se révèlent de manière évidente quand vient le moment de se frotter au corps médical, point de passage obligé pour qui souhaite avoir recours à une contraception.
Les suspicions à l’égard de la contraception masculine se révèlent de manière évidente quand vient le moment de se frotter au corps médical.
Depuis de nombreuses années, les luttes féministes ont mis sur la table les problématiques liées à l’emprise du monde médical sur les corps et les questions liées à la reproduction. Du côté de la contraception masculine, parce qu’elle est ignorée par la recherche scientifique et les pouvoirs publics, les personnes potentiellement intéressées par ces méthodes risquent fort de se décourager. Au milieu de ce vide médical, on peut cependant noter le travail accompli par les docteurs Mieusset à Toulouse et Soufir à Paris, qui prescrivent et assurent le suivi des contraceptions thermiques et hormonales.
En effet, ces dernières nécessitent un suivi médical régulier. La personne contraceptée doit notamment vérifier périodiquement son taux de spermatozoïdes en faisant un spermogramme (voir ci-contre), pour s’assurer que la méthode fonctionne. Problème : ces pratiques restent très méconnues des structures de santé. C’est ce que raconte Matthieu, qui a porté le slip chauffant pendant trois ans : « Là où j’habite, c’est un désert médical, donc pour faire des spermogrammes, c’est la merde. Tu peux les faire chez toi et tu as 30 min pour ramener la fiole de sperme au laboratoire, ou tu peux faire le recueil sur place. Sauf que dans le labo où j’allais, il n’y avait pas d’endroit dédié pour le recueil. » Il poursuit : « Comme j’habitais à 25 minutes, ça me conduisait à la situation assez ubuesque de devoir me garer à un endroit discret et me masturber dans la voiture. »
Autre méthode contraceptive, même son de cloche pour Léo, qui a expérimenté pendant deux ans la contraception hormonale à base d’injections hebdomadaires de testostérone4 : » Trouver une pharmacie pour récupérer le produit ou un professionnel de santé disposé à te faire des injections est compliqué. Notamment parce qu’il peut être utilisé comme dopant pour prendre de la masse musculaire, donc c’est très surveillé. » Pour lui aussi les visites dans les structures médicales ont apporté leur lot de petites galères : « Un jour je suis arrivé au laboratoire avec un prélèvement que j’avais fait à domicile, et la médecin n’a pas voulu le prendre. Son travail, c’est de faire de la “reproduction assistée”, donc elle pensait que ça pouvait être le sperme de quelqu’un d’autre. Il a fallu que je lui explique : “Attendez, pour moi le but c’est de ne pas faire d’enfant, pas l’inverse !” »
Et Léo de résumer les enjeux liés à l’accessibilité de ces méthodes contraceptives : « Il y a peu de connaissances scientifiques et de médecins compétents, pas de structures médicales pour t’accueillir. Certes, il existe des groupes militants et des associations (voir ci-contre) qui s’emparent de cette question et essaient de se rendre indépendants du corps médical, mais à un moment t’es obligé de faire des spermogrammes ! On peut essayer de gagner en autonomie au maximum, mais elle ne sera jamais totale. »
Lorsque Pierre cherche à se faire vasectomiser en 2003, la pratique est légale depuis deux ans. À l’époque, rares sont ceux qui s’y collent. De plus, Pierre ne coche pas vraiment les cases habituelles du candidat à la vasectomie : il a 29 ans, n’a pas d’enfants, ni l’intention d’en avoir. Il consulte une quinzaine d’urologues, et c’est peu dire qu’il se heurte à une incompréhension totale : « Ils me considéraient comme un martien. Certains essayaient même de me faire changer d’avis, en jouant sur la corde du regret par rapport au fait de ne jamais avoir d’enfants5. Les consultations se sont souvent mal terminées. » Au bout de deux ans de démarches, il finira par trouver un praticien qui l’opèrera. Aujourd’hui, si les demandes de vasectomie augmentent en France, le pays reste à la traîne par rapport à d’autres, notamment le Royaume-Uni où deux Britanniques sur dix6 y ont eu recours.
Loin des préoccupations des médecins, pour Pierre, Matthieu et Léo, ce sont des questionnements vis-à-vis de leurs partenaires sur les implications nouvelles liées à la contraception masculine qui se sont rapidement posés.
« Le fait que les mecs s’approprient la contraception permet aux femmes de se décharger de ces choses-là, ce qui est super, mais dans quelle mesure n’est-ce pas, pour elles, perdre une marge de manœuvre, un pouvoir sur leur corps ? » interroge Matthieu. Ce glissement de la charge contraceptive doit en effet se penser à l’aune des luttes pour l’accès à des contraceptifs pour toutes, élément central des combats féministes des années 1960-1970. Un moment décisif qui permit de mettre en lumière la nature politique de la sexualité et battre en brèche l’injonction essentialiste à la maternité. Le contrôle par les femmes de leur fertilité demeure un enjeu intime et politique que la contraception masculine vient chambouler.
Pour Léo, il est primordial de prendre en compte ces questions. D’autant qu’ « en cas d’erreur, les conséquences pèsent sur le corps des femmes. Il y a un débat à avoir sur la portée de ces processus et il serait très intéressant de donner la parole aux partenaires de ces hommes contraceptés. »
Ambition nécessaire qu’il convient de concrétiser, à mesure que les hommes investissent la question contraceptive.
1 L’association Ardecom propose sur son site contraceptionmasculine.fr un grand nombre de ressources sur le sujet.
2 Les prénoms ont été modifiés.
3 Lire à ce propos le travail de l’historienne Élodie Serna qui, dans son livre Opération vasectomie – Histoire intime et politique d’une contraception au masculin (Libertalia, 2021), revient notamment sur les discours, tantôt eugénistes, tantôt libertaires, qui ont accompagné la pratique de la vasectomie dès le début du XXe siècle.
4 Délivrable uniquement sur ordonnance.
5 La vasectomie n’est pas réversible à 100 %.
6 D’après le rapport des Nations unies « World contraceptive patterns » (2013).
Cet article a été publié dans
CQFD n°205 (janvier 2022)
Dans ce numéro vert de rage, un dossier « Pour en finir avec une écologie sans ennemis ». Mais aussi : une escapade en Bosnie en quête d’étincelles sociales, l’inaction crasse du gouvernement envers les femmes handicapées, l’armée qui s’incruste à l’école, des slips chauffants, des libraires new-yorkais atrabilaires, des mômes qui attaquent Disneyland…
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Paru dans CQFD n°205 (janvier 2022)
Par
Illustré par Laureline Redon
Mis en ligne le 28.01.2022
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