Camp de Rivesaltes : 70 ans d’enfermement

« ENTRE SALSES ET RIVESALTES, au pied du Canigou, la tramontane transforme chaque été la garrigue en un désert mongol, froid et violemment ensoleillé. Certains ont choisi d’appeler ce lieu le “Sahara du Midi”. »1 Construit en 1935 à quelques kilomètres au nord de Perpignan, le camp Joffre de Rivesaltes devait servir de centre d’instruction militaire réservé aux troupes coloniales,mais rapidement l’endroit va être recyclé en camp d’internement pour parquer ces différents rebuts de l’humanité bannis ou raflés par les États-nations en guerre.

Premiers à faire les frais de l’hospitalité made in France, les vaincus de la guerre civile espagnole. En 1939, 500 000 Espagnols traversent les Pyrénées pour fuir la répression franquiste. La France bientôt pétainiste parque ces mauvais perdants dans des camps situés non loin de la frontière, Rivesaltes en recevant un important lot. À partir de 1941, collaboration oblige, on y adjoint les Juifs et Tziganes raflés par la police nationale. Puis en août 42, et ce pendant trois mois, une partie du camp se transforme en centre de triage israélite, prélude à l’abattoir nazi : direction Auschwitz via Drancy.

Temps calme jusqu’en 1962. L’Algérie indépendante, ce sont plus de 900 000 « rapatriés » qui vont regagner la métropole. Parmi eux, ceux que le potentat languedocien Georges Frêche a qualifiés de « sous-hommes » en 2006 : les Harkis. De 1962 à 1963, 20 000 de ces supplétifs de l’armée française vont séjourner avec leur famille dans le camp de Rivesaltes.

L’histoire récente continue sur la même pente xénophobe. En 1984, en plein tour de chauffe du Front national, le sinistre camp est choisi pour accueillir la construction d’un centre de rétention administrative (CRA). De son ouverture jusqu’à fin 2007, le CRA accueillera 20000 clandestins. On aurait pu en rester là. Mais ça serait sous-estimer le cynisme dont sont capables les plus fiers-à-bras de nos élus. En 2000, une convention d’objectifs entre État, département et communes jette les plans d’un futur mémorial qui doit être construit sur le site du camp. Évaluée à 15 millions d’euros, la douloureuse frôle les 22 millions fin 2009 ! Faut dire que l’ambition est là : il ne s’agit ni plus ni moins que de construire le plus grand mémorial de l’Europe de l’Ouest. Membre de la commission historique, José Sangénis, fils d’exilé anarchiste espagnol, en claque la porte il y a deux ans : « C’était des assemblées de pure forme, on arrivait et les décisions étaient déjà prises. Et puis c’est un projet incroyable, plein de luxe, avec des souterrains, des lumières, un bistrot. Une vraie fanfaronnade. Nous [les autres réfugiés espagnols], on voulait un truc beaucoup plus simple, à l’image des femmes et des hommes qui ont été enfermés là-dedans. » « Y avait un autre désaccord, ajoute René. C’était sur le nom. » « C’est vrai, se souvient José. On voulait que le mémorial s’appelle camp de concentration comme il s’appelait à l’époque dans les circulaires mais Peschanski, le président du conseil scientifique, ça lui plaisait pas. Il craignait l’amalgame avec les camps d’extermination. »

Autre pierre d’achoppement sur laquelle a longtemps buté le projet : comment édifier un mémorial sur un site toujours en activité ? En effet, tandis que de colloques en conférences, entre petits-fours et diaporamas, l’idée du mémorial faisait son chemin, les sans-papiers continuaient à s’entasser dans le CRA à deux pas des anciens baraquements. Ce qui fait quand même un peu mauvais genre. Qu’à cela ne tienne, début 2008 un nouveau CRA, avec une capacité d’accueil doublée et un système de sécurité high-tech, a ouvert ses portes un peu plus loin. Torremila qu’il s’appelle. Ultime attention pour les clandos : l’aéroport est à moins de 200 mètres. Une douceur résumée dans ces propos de Christian Bourquin, président PS du conseil général : « Édifier un mémorial, c’est aussi rendre justice à des gens considérés comme “indésirables”. » Miracle de l’amnésie sélective. Comme si les mécanismes ayant produit les « indésirables » d’hier n’avaient plus rien à voir avec ceux qui produisent les « indésirables » d’aujourd’hui.


1 Début du très bon bouquin de Violette et Juanito Marcos, Les Camps de Rivesaltes (éd. Loubatières, 2009).

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