Psychiatrie
Berger à lier
La mission d’Alain et de ses bêtes : nettoyer les bois et sous-bois de ces montagnes désertées où la prolifération de broussailles favorise les départs de feu. À partir de 1998, il développe son troupeau et loue des parcelles. Sur l’une d’elles, son logement : une cabane bricolée. Car Alain n’est pas un amateur du confort et de ses contraintes. En langage local, on appelle cela un marginal. Il vit dans la montagne, galère, crapahute et certains le regardent de travers pendant que d’autres lui manifestent de la sympathie. « Je l’ai aidé, affirme à CQFD Jean-Pierre Souchon, maire de la commune entre 2001 et 2008. Je l’avais embauché en contrat aidé à la mairie. » Mais la situation se serait rapidement dégradée : « Il ne faisait rien. Du matériel a disparu. Cela a créé des problèmes. » Alain continue à s’occuper de sa cinquantaine de bêtes.
En août 2006, il se rend en Ariège après avoir laissé ses brebis à la garde d’un proche. Mais ce dernier s’avère incapable de gérer le troupeau et les animaux divaguent. Selon les dires du maire de l’époque, la gendarmerie l’informe des dangers que représentent ces brebis vagabondant sur ces routes sinueuses. Étrange assertion, en regard du Pays Basque et de la Corse où les animaux en liberté font partie du paysage local, et où, peut-être, la maréchaussée n’ose pas agir avec la même vélocité… Pour autant, la commune contacte la direction des services vétérinaires. On
rassemble le troupeau « que l’on n’arrive pas à maintenir parqué, prétend Jean-Pierre Souchon. Les autorités vétérinaires n’ont pas trouvé trace d’une homologation et ont constaté l’absence de bouclage des bêtes » de ce troupeau, pourtant enregistré depuis 1998. Elles demandent à Alain de se manifester urgemment alors qu’il sort à peine d’une lourde intervention chirurgicale. Les réponses du berger sont jugées insuffisantes et, une vingtaine de jours plus tard, les brebis sont abattues. « Précipitation étonnante ! La décision a été extrêmement rapide. À ce stade-là, on peut même penser qu’il y avait une intention de nuire », interprète Gilles, responsable de la Confédération Paysanne du Gard. Dès lors, l’heure n’est plus véritablement aux explications. Alain, non coutumier des procédures, se retrouve seul face à un magistrat, le maire en l’occurrence. Le berger se rend en mairie, s’emporte et bouscule un ordinateur. Ses gestes de colère vont lui faire subir les coups de la loi.
En 2007, il est condamné à un an de prison. De retour au village, plusieurs altercations ont de nouveau lieu avec Jean-Pierre Souchon. En 2009, Alain est de nouveau condamné, cette fois à quinze mois de prison. Incarcéré en février 2011, il décide, en désespoir de cause, d’adresser à Sarkozy, par courrier, un appel à l’aide qu’il conclut par un « essayez de rendre justice avant que je pète un câble… » Qu’à cela ne tienne ! Le 24 avril, un arrêté préfectoral ordonne son internement d’office en hôpital psychiatrique (HP). Cette mesure répond de la seule décision du préfet, ainsi que le précise la loi, dont les termes ont été modifiés en juillet 2011.
En décembre 2009, Sarkozy avait réclamé un renforcement des mesures d’internement d’office en instrumentalisant un fait divers grenoblois1. « C’est une détention sécuritaire qui n’a rien à voir avec une question sanitaire. Son argument central est le trouble grave à l’ordre public. Avec la définition extensive que l’on peut imaginer… », précise un médecin de l’Union syndicale de la psychiatrie. « Le préfet n’a pas à justifier sa décision. Avec ces mesures d’hospitalisation d’office, n’importe qui peut se retrouver en HP : le moindre écart de comportement peut-être assimilé à un trouble psychiatrique. En l’espace de trois ans, la durée de l’hospitalisation d’office a été multipliée par trois, dans le même temps où les budgets sont exclusivement destinés à une multitude de systèmes de surveillance, et où les personnels hospitaliers disparaissent et les possibilités d’accueil sont sans cesse réduites… »
Le 14 novembre 2011, les psychiatres du service où se trouve séquestré Alain produisent un rapport certifiant que son hospitalisation d’office est injustifiée. Le vendredi 9 décembre, le juge des libertés et de la détention ordonne la levée de la mesure d’internement. Immédiatement, le parquet fait appel et, ne laissant au berger aucune opportunité de pouvoir élaborer sa défense, le convoque, pour le lundi suivant, devant la cour d’appel, qui maintient l’hospitalisation contrainte. Sur la foi de deux experts qui, selon les dires de l’USP, sont d’une grande confusion : l’un s’accorde avec l’avis des psychiatres, tandis que l’autre confirme en infirmant tout en infirmant la confirmation… C’est sur ce deuxième rapport que va s’appuyer le procureur pour justifier sa décision. Le 26 février était la date de levée d’écrou de la condamnation qu’il était en train d’effectuer en HP à Uzès (Gard), avec seulement deux visites par semaine et sans pouvoir avoir accès aux promenades auxquelles tout détenu a droit.
Une pétition ayant récolté plusieurs centaines de signatures2 demande la levée immédiate de cette mesure arbitraire, rendant publique l’ignominie de ces hospitalisations répressives et rappelant que les Cévennes, avant de se plier aux lois du marché et de la guerre de tous contre tous, étaient une terre où l’hospitalité passait outre la violence des puissants…
1 Un patient soumis à des soins sous contrainte avait tué un étudiant lors d’une de ses sorties.
Cet article a été publié dans
CQFD n°98 (mars 2012)
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Paru dans CQFD n°98 (mars 2012)
Par
Illustré par L.L. de Mars
Mis en ligne le 18.04.2012
Dans CQFD n°98 (mars 2012)
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13 juin 2012, 15:46, par Nathalie
Monsieur Souchon, qui n’est pourtant plus maire de Mâlons, a apparemment le bras très long, puisqu’ Alain Paya Poirel vient de se voir refuser la sortie de HP !