Édito-sommaire
Au sommaire du n°155
En une : "Colonies d’aujourd’hui" de Caroline Sury.
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Et la bienveillance, bordel ?!
C’est à n’en plus finir. Voilà des mois (ou des années ?) qu’ils sont en campagne. Et une question taraude le bas peuple : dans ce barnum, avons-nous notre destin en main ? Bè, non. Tout le contraire.
Ma fille m’a demandé : « Papa, tu vas voter Macron ? » J’ai dit non. Scandalisée, elle a pointé son index droit sur son avant-bras gauche : « Tu crois que tu as une fille blanche, là ? [Elle est métisse] Si tu votes pas pour toi, vote pour moi, au moins. Sinon, la blonde va m’envoyer en Afrique ! » Je l’ai rassurée : « Si je vois qu’il y a le moindre risque, j’y vais. » Le dimanche à 18h, j’étais sur le site de la RTBF, qui donnait Macron largement gagnant. « Tu vois, ce CRON n’a pas eu besoin de ma voix. »
Mon devoir accompli, je suis monté voir OM-Nice dans un bar de La Plaine. En terrasse, je tombe sur une bande de copains et copines qui ont bu toute l’après-midi en angoissant sur les estimations de vote. Il y a là des abstentionnistes pur jus ; des abstentionnistes du 2e tour ; des qui ont voté Mélenchon au 1er tour histoire d’avoir un autre débat d’entre-deux tours que « xénophobie contre mondialisation » ; et même des électeurs de Macron pour faire barrage… Tout ce petit monde s’est entre-déchiré depuis quinze jours, d’accusations mutuelles en anathèmes : « Mouton ! » – « Irresponsable ! » – « Antifasciste d’isoloir ! » – « Vote blanc de petit Blanc ! », etc. Mais à cette heure-là, ce ne sont plus que rictus et mots tordus : comment se réjouir de la défaite de l’une sans avoir l’air de célébrer la victoire de l’autre ? Trop compliqué pour moi. Je me cale au comptoir, où l’ambiance est plus franche.
Le match commence. Soudain, on entend un cri sur le pas de la porte : « À bas le foot, vive la révolution ! » Ce qui ajoute un clivage de plus à la confusion ambiante. On nous fait la morale. Mais il est où, l’opium du peuple ? Chez ceux et celles qui commentent joyeusement les passements de jambes de Dimitri Payet ? Ou chez ceux et celles dont l’esprit s’est laissé plomber par la contrition démocratique ?
Voilà qui manquait de bienveillance, en tout cas. Qu’importe les options individuelles face à un processus électoral vicié : ce ne sont que dribbles, choix tactiques et illusions perdues dans un océan de solitudes. L’important, ce soir-là, c’était de gagner le match et de rester cool avec le voisin. Puisque, inévitablement, on sera amené à se retrouver dans les rues très bientôt. Là où ça se joue vraiment.
Dossier : DOM-TOM, colonies d’aujourd’hui
« Le kwassa-kwassa pêche peu, mais ramène du Comorien. » Avec un humour de DRH décomplexé, le type que la France vient d’élire président semble considérer les centaines de clandestins morts par noyade comme du menu fretin bon à rejeter à la mer. C’est le même qui croyait que la Guyane est une île. Ce qui ne l’empêchera pas d’y encourager la soif d’or d’une start-up canadienne du secteur minier (p. II).
Malgré la conclusion officielle de la décolonisation en 1962, la France n’a jamais renoncé à certaines de ses possessions. Elle en a fait des territoires d’Outre-mer. Mais il ne suffit pas de le décréter pour, du jour au lendemain, passer de la plus brutale des contraintes à une république soudain vertueuse et fraternelle. « L’impossible développement » a donc été le choix stratégique d’un État qui redoutait une contagion du désir d’indépendance (p. V). Et pour brouiller les pistes, on a accusé les victimes de cette domination/marginalisation d’en être responsables : « ils » font trop d’enfants, « ils » sont paresseux, « ils » n’aiment pas les Blancs, « ils » sont trop habitués à téter la mamelle de l’État… On a ensuite inventé le concept d’« encombrement démographique » et poussé les « domisés » à l’émigration vers la métropole, avec des slogans tels que « L’avenir est ailleurs » (p. VI).
Ce mépris, hérité du régime esclavagiste, a donné lieu à ce qu’Aimé Césaire appelait un génocide culturel, avec la mise à l’index des patois, des langues indigènes, des créoles, et donc de toute une mémoire vive, mais aussi avec les tentatives de folklorisation des pratiques populaires ayant survécu à la traite négrière et au travail forcé. Ce qui n’a pas empêché ces parlers, danses et musiques, ainsi que la littérature antillaise, d’exprimer de puissants soulèvements de l’esprit (p. XI).
Pourquoi la République française s’accroche-t-elle ainsi à ces « confettis d’empire », alors que ses anciens concurrents se sont recyclés dans le parrainage postcolonial (cf. le Commonwealth britannique) ?
Pour garder la main sur les matières premières ? C’est vrai avec le nickel de Nouvelle-Calédonie (p. XII). Pour ne pas perdre le contrôle sur les routes maritimes ? C’est vrai pour les îles de l’océan Indien – et c’était vrai pour Djibouti. Pour conserver l’un des domaines d’eaux territoriales les plus étendus de la planète, avec ses ressources halieutiques et pétrolières en jachère ? C’est le cas de la Polynésie et des îles Éparses (p. XI). Pour offrir à ses citoyens métropolitains d’exotiques destinations touristiques ? C’est particulièrement vrai pour les Antilles.
Par pure nostalgie ? On aurait tort de sous-estimer cet aspect-là, tant les crispations autour de la repentance, l’identité nationale ou la grandeur et le rayonnement de la France contaminent l’imaginaire et les discours politiques – ces lubies entrant en résonance avec les vieilleries de la « mission civilisatrice » ou de la « communauté de destin »…
L’imposition du mode de vie occidental donne parfois des allures de banlieues tropicales à ces périphéries. Et l’assimilation forcée accouche d’âmes schizophrènes. On le voit à Mayotte avec les résultats du FN aux présidentielles et avec les ratonnades anti-comoriennes couvertes par les autorités (p. X). Organisée depuis la métropole, la dépendance de territoires qu’on isole de leurs voisins pour mieux les maintenir sous perfusion a forcément des effets pervers. En Guyane, le récent mouvement social, dont le fondement revendicatif était tout aussi légitime que la grande grève guadeloupéenne de 2009, a vu en son sein l’émergence d’un discours sécuritaire et xénophobe niant le caractère multiculturel des lieux.
Ce non-dit colonial participe de la névrose française autour d’une identité abstraite et figée, refoulant les leçons du passé et la multiplicité des histoires, des origines, des territoires, des résistances… Bien que les luttes dites de libération nationale soient en net reflux, le droit à l’autodétermination des peuples reste un enjeu universel. Ce sont des complicités venues de toutes les latitudes, ainsi qu’une confluence d’autonomies locales à construire, qui pourront libérer ce(s) pays du carcan postcolonial.
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Cet article a été publié dans
CQFD n°155 (juin 2017)
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Paru dans CQFD n°155 (juin 2017)
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Illustré par Caroline Sury, Soeuf Elbadawi
Mis en ligne le 09.06.2017
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