Régions kurdes occupées par l’Iran

Au Rojhelat, l’écologie comme espace de contestation

Dans le nord-ouest de l’Iran, le gouvernement islamique a bridé le développement des régions kurdes, peuplées d’environ 7 millions de personnes. Le chômage y est endémique. La gestion coloniale de la marge1 kurde par l’État central iranien a également un impact direct sur l’environnement. L’écologie est devenue l’un des rares espaces publics, ouverts, de contestation possible, là où toutes opposition et velléité d’autonomie sont réduites au silence et où les militant·es sont contraint·es de se cacher. Mais le gouvernement des mollahs n’est pas dupe et les écologistes kurdes payent aussi un lourd tribut à leur lutte. Rencontre en juillet 2019 avec un membre d’une association écologiste de la région de Hewraman.
Maintenues dans une précarité forcée, les régions kurdes connaissent un très important chômage. Une des seules possibilités de travail est de faire « kolbar », c’est-à-dire de transporter à travers la montagne des marchandises sur son dos, au prix de risques élevés, notamment de se faire assassiner par les gardes-frontières / Photo Loez

Début 2019, dix militant·es écologistes kurdes ont été arrêté·es en Iran sous un prétexte fallacieux. En septembre, Erfan Rashidi, activiste écologiste de la ville de Paveh, a été condamné à un an de prison pour « propagande contre l’État ». Alors, pour des raisons de sécurité, on ne dévoilera pas l’identité de l’activiste rencontré ici, ni le nom de son association. L’entretien s’est déroulé chez une tierce personne, car il est impossible de mettre les pieds dans les locaux de l’organisation sans déclencher une réaction des autorités.

En quoi consiste votre action ?

« Nous travaillons sur trois axes. Primo, l’aspect individuel : chacun est responsable de la protection de l’environnement. Secundo, l’aspect sociopolitique : les choix politiques ont des conséquences sur l’environnement. On doit donc faire entendre notre voix jusqu’aux instances de décision. Tertio, la pollution industrielle : par exemple, quand le gouvernement a projeté d’installer une raffinerie de pétrole près du lac Zribar, nous nous y sommes opposés, car ça aurait causé un désastre écologique. Bien sûr, cette lutte n’a pas été facile, le procès a duré presque deux ans.

Nous avons conscience du fait que le problème de l’environnement est autant mondial que régional. Ce qui nous a poussés vers ces activités est le désintérêt du pouvoir vis-à-vis du milieu naturel de notre région. Pour prendre un exemple, il avait été établi officiellement que près de 5 000 oiseaux de 56 espèces différentes peuplaient les alentours du lac Zribar. Or, notre groupe d’ornithologues a enregistré 257 espèces et comptabilisé plus de 80 000 individus. Cette recherche a permis de classer Zribar comme « zone humide d’importance internationale » dans le cadre de la convention internationale des eaux [convention de Ramsar].

Autre problème, les feux de forêt. Au début, nous ne pouvions compter que sur nous-mêmes pour lutter contre le feu. Dès lors, nous avons formé des groupes dans les villages contre les incendies.

Jusqu’à récemment, les gens ne faisaient pas attention à l’environnement. Il y a eu une transition trop rapide du monde traditionnel vers le monde moderne. Dans le monde traditionnel, les gens peuvent manger des noix et jeter les coques dans la nature sans qu’il y ait de conséquence, car les noix sont biodégradables. Mais, avec les modes modernes de consommation, on mange un biscuit et on jette le plastique dans la nature. Il faut donc sensibiliser les gens à tout cela. Heureusement, on a pu noter d’énormes progrès. Par exemple, il y a quelques années, dans la plaine Bélu, lieu de pique-nique réputé autour de Marivan, on ramassait 20 tonnes de déchets chaque année ; désormais, on n’en ramasse plus que 2 tonnes.

Dernier problème auquel on doit résister : les industries polluantes. Selon les statistiques gouvernementales, le Kurdistan englobe près de 10 % de la population iranienne, pourtant il représente moins de 2 % du développement économique du pays. Le déficit d’emplois industriels a provoqué l’émigration des Kurdes vers les autres régions, comme la province du Khouzistan [sud-ouest du pays], pour travailler comme ouvrier ou comme ingénieur... Mais au lieu de faire entrer des industries qui sont en accord avec la situation géographique et l’environnement de notre région, le gouvernement voudrait y installer des industries très polluantes, comme les industries du ciment à Darbandzli et Ouraman, ou encore le projet de raffinerie près de Zribar.

De quel œil le gouvernement voit-il vos actions ?

« En Iran, on ne permet pas que les associations expriment un point de vue politique. Le régime mène contre nous une répression constante. À l’heure actuelle, certains de mes amis sont en prison.

Même en demandant des autorisations, on subit toutes sortes d’entraves. Lors d’une opération de reboisement, les forces de police nous ont entourés comme si on allait commettre un crime. Ils ne veulent pas que les actions collectives se répandent parmi le peuple, mais on continue. Récemment, on a organisé un festival “Une journée pour Zribar” qui a réuni plus de 10 000 personnes sur deux jours. Des dizaines de milliers de personnes ont aussi participé aux funérailles de deux de nos membres qui ont trouvé la mort en luttant contre un incendie de forêt autour de Marivan.

On a aussi invité les villageois à nettoyer totalement leur village le dernier mercredi de chaque année. Cette année, 204 villages l’ont fait simultanément. Mais le gouvernement n’aime pas ça, car il a peur que ces actions organisées finissent par se retourner contre lui. »

Quelle est la politique environnementale du régime ?

« Pour lui, l’environnement ne constitue pas une priorité. Pas plus que le développement de notre région. Le point de vue général du gouvernement iranien sur les questions environnementales est comparable à sa politique vis-à-vis des femmes. C’est une femme [Masoumeh Ebtekar] qui dirige le département d’État de l’environnement. Mais il s’agit seulement de produire un symbole aux yeux du monde et de faire croire que les femmes iraniennes sont investies en politique autant que les hommes. Or, cette femme n’est pas très compétente dans ce domaine ; seule la forme importe. »

Est-ce que le gouvernement iranien contrôle la production agricole et impose certaines cultures ?

« Quand le régime islamique a pris le pouvoir en Iran, il a appliqué une division agricole selon les différentes régions. Par exemple les agrumes au nord, le blé pour le centre et le Kurdistan. Ce n’est pas raisonnable de dire qu’il faut cultiver du blé ou du colza à travers tout le pays sous prétexte d’autosuffisance.

L’Iran comprend 600 plaines, dont 270 sont désormais complètement sèches et improductives. C’est le résultat de l’utilisation abusive des eaux souterraines. Le niveau des nappes phréatiques a énormément baissé. L’agriculture est en crise et la question de l’eau est un enjeu crucial pour l’avenir de l’Iran.

Il faudrait faire des recherches poussées dans chaque région afin de savoir quel produit y cultiver de manière écologiquement responsable. Mais la science agronomique reste centraliste. Ainsi les résultats de leurs recherches sur le Zagros [chaîne de montagnes à cheval sur l’Iran et l’Irak] du sud ont été appliqués au centre et au nord du massif, qui sont des écosystèmes totalement différents.

La province du Kurdistan est la sixième ou septième province en capacité de terres agricoles et la seconde pour les ressources en eau, pourtant elle reste la dix-neuvième en production agricole. La politique agricole de notre région n’est pas bien organisée du tout. Les eaux du Kurdistan vont vers les provinces voisines : à l’instar de la Turquie avec le Tigre et l’Euphrate, le gouvernement iranien cherche à contrôler la rivière Sirwan [avec le barrage de Daryan, afin d’irriguer les terres du sud-ouest] au détriment des régions kurdes. »

Propos recueillis par Loez

Une version plus longue de cet entretien est disponible sur le site Kedistan.net


1 Le Kurdistan iranien (appelé Rojhelat en kurde) peut être considéré comme une « marge », au sens où l’entend la géographe Brigitte Prost : à savoir « l’écart (de surface, de temps, d’intensité fonctionnelle) entre un “plus”, c’est-à-dire un territoire organisé, fonctionnant suivant des règles mises en place progressivement, et un “moins” qui, pour un espace, une époque, une forme d’activité donnés, ne répond plus aux normes du système...  » Brigitte Prost, « Marge et dynamique territoriale », Géocarrefour, vol. 79/2, 2004.

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