SO révolutionnaire

À Strasbourg, les syndicats aussi détestent la police

Aussi radicaux se veulent-ils, les syndicats ne sont jamais très à l’aise avec les mouvements qu’ils ne parviennent pas à encadrer. Mais à Strasbourg, surprise : l’intersyndicale accompagne les manifs sauvages… et plus si affinités. On est allé y faire un tour.

En entendant vanter jusqu’au sommet du gouvernement l’intersyndicale « exemplaire » du mouvement contre la réforme des retraites, on aurait tort de ne pas se méfier. Et de fait, entre mouvement social et syndicats, ça n’a jamais été simple. D’une part, ces derniers ont souvent l’impression de porter à bout de bras, et un peu seuls, la contestation dans les derniers secteurs où ils en ont encore les moyens. De l’autre, toutes les grandes centrales se veulent les interlocuteurs responsables de l’État et du patronat et, comme tels, semblent parfois surtout préoccupés de contenir les débordements de leur base et du reste du mouvement. Cas d’école dans les Bouches-du-Rhône, où la CGT défend courageusement la raffinerie occupée de Fos-sur-Mer contre les réquisitions – tout en réprimant, à coups de lattes au besoin, la part sauvage prête à percer sous les calicots1.

Le spectacle de vitrines défoncées ne leur arrache aucun soupir

De manif en manif, la placide Alsace, éprise de consensus et dont la tradition révolutionnaire semblait arrêtée à l’insurrection spartakiste de novembre 19182, est le théâtre d’un tout autre spectacle. « Dans la com’ officielle de la CGT, on ne peut pas soutenir ou encourager la violence. Mais en manif, on laisse faire », explique Nicolas, délégué syndical dans une PME strasbourgeoise. Et, à en croire la journée de mobilisation du 28 mars, les autres centrales sont sur la même longueur d’onde. Avant le départ, les banderoles se mettent en rang sur une avenue latérale, comme pour laisser à un cortège de tête déterminé l’espace nécessaire pour se former sur la place de la République, devant la préfecture. Et cortège de tête il y a, fourni et très jeune, composé en grande partie d’étudiants débarquant directement de leur AG depuis la fac voisine. Quand, à l’approche des galeries Lafayette qui ont pris cher la semaine précédente, les CRS se pointent, un service d’ordre mêlant hommes et femmes sous toutes les casquettes syndicales (de Sud à la CGT jusqu’à l’Unsa et au syndicat de cadres CFE-CGC) forme un cordon, main dans la main, pour s’interposer.

« On n’est pas là pour faire le travail de la police »

L’heure venant pour la manif de partir en couilles, une vieille dame bien mise observe : « Ah, c’est la bifurcation. Les vieux continuent à gauche, les jeunes prennent à droite. » À gauche, les «  jeunes », c’est en vrai un peu tout le monde, les drapeaux colorés des syndicats flottant au milieu des minots cagoulés. À droite, c’est le cœur des quartiers bourgeois et le consulat des États-Unis, protégé en mode Fort Knox. Après une heure de balade semée de tags et de poubelles flambées ainsi que de quelques tirs de lacrymos, petite pause. Les membres du service d’ordre en profitent pour ôter leurs brassards, leurs casquettes et leurs autocollants.

« Nous, on n’est pas là pour faire le travail de la police. Notre rôle, c’est de protéger les manifestants  », affirme d’emblée un affable quinquagénaire siglé FO. « Protéger les policiers, c’est pas notre boulot », renchérissent deux jeunes femmes toutes de bleu vêtues – la couleur de l’Unsa, pourtant réputée plus proche du Medef que du Comité invisible. Le spectacle de vitrines défoncées ne leur arrache aucun soupir. « On n’a jamais vu une mobilisation pareille en Alsace, alors on est contents qu’il y ait des jeunes », observe sobrement un de leurs collègues en me tendant ses goodies : un masque et du sérum physiologique.

Qu’en pensent les centrales ? « Notre mandat syndical s’arrête à la fin du parcours officiel », résume le FOiste. Et après ?… « Certains d’entre nous accompagnent les manifestants pour sécuriser, mais c’est à titre privé. » Sécuriser ? « On emprunte les rues latérales pour surveiller l’arrivée de la police et avertir les jeunes. Et au besoin, s’interposer. Il arrive même qu’une voiture essaie de forcer le passage, alors on la bloque, on fait la circulation, ça évite les accidents. » Comme quoi, la culture du compromis, ça marche pas qu’avec les patrons.

Laurent Perez

1 Lire « Le Service d’ordre de la CGT protège le Medef à coups de bâtons », Mars-infos.org (18/03/2023).

2 J’en viens. No offence.

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Cet article a été publié dans

CQFD n°219 (avril 2023)

Depuis le passage en force du gouvernement sur la réforme des retraites, la France est en ébullition : blocages, grèves, manifs monstres et poubelles en feu ! Impossible de ne pas consacrer une très large part de notre numéro d’avril à cette révolte printanière. De Marseille à Dieppe, de Saint-Martin-de-Crau à Sainte-Soline, de la jeunesse en mouvement à la répression en roue libre, des travailleuses du sexe en lutte à l’histoire du sabotage... Reportages, analyses, entretiens. De quoi alimenter, on l’espère, la suite des mobilisations !
On vous emmène tout de même un peu hors de nos frontières (ou presque) : En Kanaky-Nouvelle-Calédonie, où la France poursuit sa démolition du processus de décolonisation, en Turquie où la solidarité populaire a pallié aux manques de l’État après les séismes début février et en Tunisie dans un musée particulier.

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