Entraver la solidarité avec les exilé·es

À Calais, des militants britanniques chassés de France

Ils avaient participé à des ouvertures de squats pour loger des personnes exilées à Calais : deux militants britanniques se sont vu retirer leurs titres de séjour sous des prétextes fallacieux. L’un d’eux a même écopé d’une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d’un an. Il se bat pour faire annuler la décision.
Illustration de Ruoyi Jin

En février dernier, dans un mouvement de solidarité avec les personnes exilées, des réquisitions de bâtiments vides ont eu lieu à Calais. Le projet était de « créer des espaces ouverts, protégés de la violence de l’État et des discriminations, où le statut administratif d’une personne n’a pas d’impact sur sa capacité à satisfaire ses besoins », expliquait le collectif Calais Logement pour toustes dans un communiqué.

Un immeuble de quinze étages et un manoir sont alors réquisitionnés. Si la tour est rapidement expulsée manu militari par le Raid (unité dont la fonction première est de lutter contre le crime organisé, le grand banditisme et le terrorisme), le manoir situé rue Frédéric-Sauvage est toujours habité à l’heure où ces lignes sont écrites. Surnommé la Ghost House, ce squat est devenu le foyer d’une vingtaine de personnes exilées et de trois militant·es, dont deux Britanniques. La vie quotidienne y est organisée sans hiérarchie, les tâches sont réparties entre les habitant·es et les décisions sont prises collectivement. Cette initiative semble avoir fortement déplu à la préfecture du Pas-de-Calais, à en juger par les mesures administratives prises à l’encontre des deux militants britanniques habitant le squat.

Une procédure instrumentalisée

Le vendredi 29 avril, lors d’un contrôle routier, Atlas*1, 22 ans, est interpellé et conduit au poste de la police aux frontières de Coquelles, en périphérie de Calais. Au bout de quinze heures sur place, on lui apprend que son titre de séjour de cinq ans lui a été retiré. Pire, il fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) et va être placé au centre de rétention administrative de Lille-Lesquin.

À l’origine de cet emballement préfectoral ? Un soi-disant « défaut » d’adresse. C’est-à-dire ? Le 3 mars, la préfecture adresse à Atlas une convocation à laquelle il ne répond pas, pour la bonne raison qu’il ne l’a pas reçue, affirme-t-il. Cinq jours plus tard, le 8 mars, explique-t-il toujours, la préfecture, considérant qu’il appartient à la personne étrangère de prendre les précautions nécessaires pour réceptionner ses convocations, lui adresse par courrier une OQTF. Ce deuxième courrier non plus, Atlas ne l’a jamais reçu. « Cette histoire de défaut d’adresse est tellement ridicule…, commente-t-il. Il suffit de jeter un œil à mon dossier pour comprendre que ce n’est rien d’autre qu’un prétexte, une très faible excuse, fabriquée par les autorités administratives pour punir un militant qui a lutté pour les droits des personnes exilées à Calais. » Et d’ajouter : « Je n’ai rien fait d’illégal, donc ils instrumentalisent une procédure administrative à des fins pénales. » Atlas évoque également le fait que, pendant un an et demi, il a toujours reçu ses courriers à l’adresse pour laquelle la préfecture prétend avoir constaté un défaut d’adresse. Parmi les courriers arrivés à bon port, certains émanaient d’ailleurs d’un établissement public rattaché au ministère de l’Intérieur, l’Antai (Agence nationale de traitement automatisé des infractions).

« Un dernier doigt d’honneur de la préfecture »

Ce week-end du 1er mai, Atlas le passe donc enfermé au centre de rétention administrative de Lille-Lesquin. Un lieu d’enfermement dont il ne tardera pas à dénoncer les conditions de vie dans un communiqué : « Les autorités nous traitent comme des animaux […]. Ils nous laissent dormir par terre, et personne ne nous informe de l’avancée de nos démarches juridiques à l’extérieur. » Atlas décrit le contraste entre le comportement brutal des policiers qui « n’ont rien à faire de notre bien-être et de nos besoins fondamentaux » et la forte solidarité entre les personnes retenues2.

Lundi 2 mai, Atlas est finalement libéré par la cour d’appel de Douai pour vice de procédure. Un soulagement éphémère : une demi-heure après la décision, il apprend que la préfecture a pris la décision, en attendant son expulsion vers le Royaume-Uni, de l’assigner à résidence dans un centre d’accueil et d’examen des situations (CAES). L’établissement se trouve dans la commune d’Arques, à 45 minutes en voiture de Calais, la ville où il vit. Le jeune homme disposait pourtant de preuves d’habitation au squat de la rue Frédéric-Sauvage, et de deux promesses d’hébergements à Calais. « Un dernier doigt d’honneur de la préfecture avant que je parte », commente Atlas, qui a finalement décidé d’anticiper son expulsion en rentrant de lui-même en Grande-Bretagne.

Le militant n’a pour l’instant pas le droit de revenir en France : lors de son placement en rétention, la préfecture lui a notifié une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) d’un an, punition pour n’avoir pas quitté l’Hexagone par lui-même dans un délai de 30 jours après l’émission de son OQTF du 8 mars – dont il n’avait pas connaissance, puisqu’il n’a jamais reçu le courrier la contenant et qu’aucun autre effort (téléphone, mail) n’a été tenté pour le mettre au courant.

« Complètement absurde »

L’histoire d’Atlas a beaucoup inquiété un de ses camarades, Nick*, lui aussi britannique, lui aussi impliqué dans les ouvertures de squats à Calais en février et lui aussi nommé dans la procédure d’expulsion de la Ghost House. Afin de clarifier sa propre situation, Nick décide d’envoyer un courriel à la préfecture du Pas-de-Calais pour demander si son dossier administratif pose problème. Réponse de l’employé·e de la préfecture : » Je ne vois rien sur notre applicatif. » « Je n’aurais jamais dû croire la préfecture : ils sont prêts à mentir pour rendre la vie impossible aux personnes exilées et à leurs soutiens », soupire le militant... Car samedi 14 mai, en tentant de rejoindre l’Angleterre pour des vacances, Nick est informé qu’une OQTF datant du 8 avril a également été prise à son encontre. Les policiers refusent de lui en donner une copie ni aucune autre information si ce n’est que son titre de séjour lui a été retiré. « La police aux frontières m’a dit que je pouvais revenir en France quand je voulais, que la préfecture n’avait pas pris d’IRTF contre moi, mais bon, on ne peut vraiment pas croire ce qu’ils disent. »

Les deux militants dénoncent l’opacité du processus : « On ne nous a informés de nos OQTF qu’après la fin du délai de départ volontaire de 30 jours. Ils ont fait ça exprès pour qu’on ne puisse pas contester ces mesures injustes et pour justifier le placement d’Atlas en CRA et son IRTF », estime Nick. « C’est complètement absurde que j’aie été notifié de mon OQTF au moment de mon départ de la France. Imagine si je m’étais fait contrôler avant ça dans la rue à Calais, comme Atlas… »

« Ne pas lâcher l’affaire »

Tous les deux sont actuellement en Angleterre et préparent leur défense, avec une équipe de juristes et avocat·es. « Nous irons jusqu’au bout, jusqu’au Conseil d’État ou la Cour européenne des droits de l’Homme s’il le faut. Pas seulement parce que ce qui nous est arrivé est embêtant pour nos vies, mais surtout pour éviter que ça arrive aux autres militant·es étranger·es à Calais et ailleurs en France », explique Nick. Il ajoute : « Calais a toujours été un terrain de jeux pour les autorités, un lieu où tester de nouvelles mesures répressives, avant de les étendre à tout le territoire national. On ne peut pas lâcher l’affaire, il faut dénoncer ce qu’ils font. » Même son de cloche déterminé du côté d’Atlas : « Dès qu’on aura gagné, on va rentrer à Calais et continuer les ouvertures de squats jusqu’à ce que toutes les personnes qui se trouvent à la rue aient un toit. On va continuer de lutter. Ils n’ont pas compris que tout ça ne change rien si ce n’est que cela donne de l’énergie, de la motivation, et la rage aux militant·es. » 

Si Atlas et Nick dénoncent de concert la gravité de ce qui leur est arrivé, ils savent aussi et tiennent à rappeler que « ce n’est rien par rapport à ce que subissent les personnes exilées à Calais tous les jours ».

Dominique Lapaffe

1 Les prénoms suivis d’une astérisque ont été modifiés.

2 Depuis, Atlas s’est lancé dans la préparation d’une saisine de la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté au sujet du CRA de Lille-Lesquin.

Facebook  Twitter  Mastodon  Email   Imprimer
Écrire un commentaire

Cet article a été publié dans

CQFD n°210 (juin 2022)

Dans ce numéro de juin criant son besoin « d’air », un dossier sur la machine répressive hexagonale et les élans militants permettant de ne pas s’y noyer et d’envisager d’autres horizons. Mais aussi : un long reportage à Laâyoune, Sahara Occidental, où les candidats à la traversée pour les Canaries sont traqués par les flics marocains, une visite dans la Zone À Patates (ZAP) de Pertuis, un dialogue sur les blessures de la guerre d’Algérie, de la boxe autonome, une guérilla maoïste indienne, des Trous orgasmiques…

Trouver un point de vente
Je veux m'abonner
Faire un don