Belleville. Ce quartier populaire de Paris, qui abrite l’un des principaux marchés de chiffonniers de la capitale, est de plus en plus prisé par les veinards pouvant présenter de belles fiches de paye. Comme d’ordinaire dans ce cas, leur arrivée s’accompagne d’opérations visant à chasser les plus gueux. En janvier dernier, une nouvelle étape a été franchie avec la création d’une « brigade spéciale de terrain » de la police nationale. Désormais, la bleusaille, accompagnée de supplétifs municipaux, quadrille le quartier pour mettre fin aux « marchés de la misère ».
Une campagne de presse, illustrée de jolies photos, a escorté l’arrivée de ces nouveaux képis chasse-misère : « Nom de code : BST, pour brigade spécialisée de terrain de Belleville. Le préfet de police de Paris a annoncé hier la création de cette unité de police et son entrée en fonction dès lundi », claironnait Le Parisien dans son édition du 22 janvier dernier. En février, ce sont les gratuits 20 Minutes et Direct Matin qui bombardent l’évènement en une.
« Nous sommes bien conscients de la dimension sociale des marchés de la misère, concédaient les élus du Xe et du XIe arrondissement dans Le Parisien du 20 janvier. Mais, dans l’immédiat, notre priorité, c’est de libérer l’espace occupé par le marché sauvage. » Au journaliste, plus lèche-cul que fouille-merde, de conclure que « la solution viendra peut-être de la BST du bas-Belleville que la préfecture de police va mettre en place. »
Le 24 janvier, le jour de la première patrouille, Patrick Bloche, le maire socialiste du XIe arrondissement, soutient dans 20 Minutes que les pauvres sont ravis d’être expulsés : « La population de Belleville, qui est déjà précarisée, a parfois le sentiment d’être délaissée, abandonnée. La visibilité de cette brigade sera déterminante pour améliorer la qualité de vie dans le quartier. »
Quelques jours après la mise en place de la brigade, les journalistes du Parisien (20/02/11) et de 20 Minutes (11/02/11) retournent sur le terrain. Tout en flagornerie, le quotidien du groupe Amaury tresse des colliers de fleurs à la gent policière : « La nouvelle brigade […] était en effet très attendue par les habitants [Ha ?] et les élus des environs du carrefour Belleville. » Les deux journaux citent les mêmes propos du préfet, pour qui ses troupes doivent « établir un contact plus affirmé avec la population. » Cependant, le brave homme semble un peu honteux : « Notre but n’est pas de devenir une brigade anti-vente à la sauvette », explique-t-il, tout en soulignant que « ce sera bien évidemment une de nos priorités. »
Trop occupé à avaler les couleuvres préfectorales, Le Parisien peine à percevoir l’efficacité toute relative de la présence policière : « À la sortie du métro, les hommes de la BST pressent les derniers vendeurs de partir. Menace de contrôles, éclats de voix, cohue et confusion… L’ambiance est électrique, mais le carrefour Belleville finira par s’éclaircir. Le marché de la misère se reformera quelques minutes plus tard un peu plus loin. “C’est vrai que ça ne fait que déplacer les problèmes. Mais au moins… plus devant chez nous” », commente un riverain satisfait.
Si son confrère sert la soupe, 20 Minutes se veut légèrement plus ironique : « Les Bellevillois n’avaient jamais vu autant de bleu dans la rue », note-t-il, n’hésitant pas à écrire que cette nouvelle brigade « se veut plus musclée » que l’Unité territoriale de quartier (Uteq) qui l’a précédée. Au détour d’un verbe, le quotidien gratuit doute même de la performance du dispositif : « Des rondes quotidiennes censées affirmer une présence policière forte, endiguer le phénomène des marchés à la sauvette et lutter contre les trafics. » Et même s’il ne peut s’empêcher de conclure sur une agression de policiers à Asnières-Gennevilliers – qui subit la même expérience –, le quotidien donne aussi la parole aux biffins et à une habitante les soutenant, ce que son collègue payant se garde bien de faire. Alors, à quoi bon payer pour cette presse-là ?