Œuvres des communautés rebelles du Chiapas
pARTage Zapatiste
Une peinture faisant voir les « travaux collectifs » – cultures, élevage, potagers... – tendue face aux jardins partagés du quartier libre des Lentillères, à Dijon ; l’hydre capitaliste repoussée par une femme zapatiste, fièrement campée au-dessus du grand plan de la ZAD, dans l’espace d’accueil de Notre-Dame-des-Landes ; une ample fresque évoquant le cheminement de l’autonomie s’étalant sur les murs des « Grands Voisins » à Paris, à l’occasion du Bendo Festival : ces œuvres et d’autres encore, porteuses de la présence de l’expérience des communautés rebelles du Chiapas, parcourent l’Hexagone à l’occasion de la tournée de l’exposition « pARTage zapatiste ».
Multipliant les initiatives depuis 2013 – jusqu’au processus ayant conduit à la mise en place du Conseil indien de gouvernement, le 28 mai dernier –, l’EZLN a organisé deux rencontres internationales l’an dernier, l’une consacrée aux sciences, l’autre aux arts – deux domaines auxquels les mouvements anticapitalistes n’accorderaient pas assez d’attention, alors même que « le savoir, la capacité à ressentir et l’imagination sont nécessaires » pour « construire un monde où il y ait place pour de nombreux mondes ».
Au festival « CompArte por la humanidad » (« pARTage pour l’humanité ») organisé au Chiapas en juillet-août 2016 et dont une seconde session aura lieu cet été1, ont été conviés les artistes du monde entier. Les hommes et les femmes des villages zapatistes, quant à eux, se sont consacrés, des mois durant, à la tâche de concevoir et de réaliser de manière collective peintures, broderies et sculptures, mais aussi chansons et poèmes, danses et pièces de théâtre relatant des épisodes de leur lutte, afin de partager par tous les moyens possibles la joie qui s’attache à la puissance de fabriquer du commun.
Leurs œuvres s’ancrent dans le quotidien des champs à cultiver, des caféiers dont il faut prendre soin, des projets productifs qui se multiplient, de l’éducation et de la santé qui s’auto-organisent à l’écart des structures de l’État mexicain et en butte à ses politiques contre-insurrectionnelles. Bien loin des formes spectaculaires d’horreur et de mort qui prétendent nous habituer à une réalité dévastée et sans futur, ces images, réalisées par ceux qui vivent et résistent au milieu d’une guerre dite « de basse intensité », nous font entrevoir une autre vie possible, une vie collectivement autodéterminée. Ici, la construction est une arme contre la destruction et l’art est une puissante force créatrice qui participe à la reconstitution des personnes et des communautés.
Selon les mots du sous-commandant Moisés, à Oventik, le festival « CompArte por la humanidad » est une manière de célébrer « un art qui ne se voit pas et ne s’entend pas », un art qui est d’abord celui de « la résistance et de la rébellion », qui n’est pas l’affaire de professionnels mais appartient à toutes et tous : « l’art, compañeras y compañeros, est si important parce que c’est lui qui nous apporte l’image d’une nouvelle vie ». Il donne une consistance sensible aux mondes que nous désirons, mais il est aussi, déjà, la manifestation joyeuse d’un art de faire ensemble qui est partie intégrante de la construction de cette nouvelle vie que les zapatistes nomment autonomie.
Alors que ces œuvres avaient été initialement conçues pour le moment de rencontre du festival « CompArte por la humanidad », les zapatistes ont ensuite décidé de les faire circuler dans le cadre de la campagne mondiale qu’ils ont lancée en février dernier, peu après l’investiture de D. Trump. Intitulée « Face au Capital et à ses murs, les brèches et les résistances d’en bas », elle appelle, aux États-Unis, mais aussi en Europe et ailleurs, à apporter un soutien déterminé aux migrants et à s’organiser pour résister aux détentions, aux persécutions et aux expulsions. Comme un message du cœur pour rappeler que, même quand on a très peu, il y a toujours quelque chose à partager, les zapatistes ont réuni quatre tonnes de café, récoltées dans les cinq zones autonomes, afin de les faire parvenir aux migrants. Une invitation à multiplier l’entraide entre ceux d’en bas...
Et, comme ils le disent, « si quelqu’un doit s’en aller, que ce soit ceux d’en haut ! ».
Cet article a été publié dans
CQFD n°155 (juin 2017)
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Paru dans CQFD n°155 (juin 2017)
Dans la rubrique Culture
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Mis en ligne le 17.04.2018