Edito

Vlan, dans les urnes !

En Espagne, le peuple a mal voté et les élections municipales du dimanche 20 mai ont passablement chamboulé le décor. Des listes d’unité populaire, où ne figure aucun politicien professionnel, pourraient rafler plus d’une dizaine de villes, et non des moindres : Barcelone, Madrid, Cadix, Gran Canaria, La Corogne, Compostelle, Pontevedra, Saragosse, Huesca, Oviedo... Les autres listes de gauche – socialistes y compris, sous peine de suicide politique – devraient leur permettre d’obtenir la majorité absolue. La liste Barcelona en Comùn a viré en tête et Ada Colau, égérie du mouvement de résistance aux expulsions locatives, va déloger Xavier Trias, maire sortant de la droite catalaniste. Ahora Madrid, avec à sa tête la juge à la retraite Manuela Carmena, est en position de prendre la mairie au Partido Popular (PP, droite), aux affaires depuis vingt-quatre ans. Chez les caciques, c’est la panique.

À la mairie de Madrid, les tritureuses fonctionnent à plein régime, réduisant en confettis des tonnes de documents officiels, car Ahora Madrid réclame un audit citoyen sur la dette et les marchés publics. Une députée de Valencia twitte : «  Les rouges reviennent ! Ils vont violer les bonnes sœurs et brûler nos églises ! » La Gaceta de los Negocios affirme que Podemos est financé par les « narco-États » bolivien et vénézuelien, dans le but de transformer l’Espagne en porte d’entrée de la cocaïne en Europe... C’est l’alarme chez les banquiers, qui craignent l’expropriation d’immeubles vides en leur possession ; et dans le BTP, qui cauchemarde l’annulation de grands chantiers à l’utilité douteuse. Selon Esperanza Aguirre, candidate PP, Ahora Madrid se situe « hors du cadre de la démocratie occidentale ». Ce à quoi Manuela Carmena rétorque : « J’ai été hors du cadre démocratique quand il n’y avait pas de démocratie et que je me battais pour elle1. » Aux abois, la momie Aguirre rétropédale dès le lendemain et déclare qu’elle est prête à gouverner avec tout le monde, «  y compris madame Carmena, si elle abandonne son projet de monter des soviets dans les arrondissements » ! En effet, outre la tolérance zéro face à la corruption2, l’arrêt des expulsions et des coupures d’eau et d’électricité dans les foyers en difficulté, les listes d’unité populaire veulent fomenter une démocratie plus directe en ouvrant les portes aux assemblées de quartier. Elles prônent aussi la santé gratuite pour tous, y compris les sans-papiers, ainsi que le retour dans le giron municipal du transport public, du ramassage des ordures et de l’entretien des parcs, services bradés au privé par les équipes sortantes.

Différence notable avec Syriza en Grèce, ces listes ne sont pas issues d’un cartel de petits partis, mais d’une convergence d’associations et de mouvements sociaux inspirés par l’expérience du 15-M qui, au printemps 2011, avait transformé les places publiques en agoras. Sans trop se faire d’illusion sur leur marge de manœuvre – le Conseil constitutionnel vient de rappeler que les réquisitions de logements vides sont illégales... –, ces futures équipes municipales sont peut-être en mesure de mettre un fameux coup de pied dans la fourmilière. Si elles avaient l’humilité d’être une lame de plus sur le couteau suisse du mouvement social, ce nouveau rapport de force pourrait accoucher de dynamiques inédites... À suivre.

Sur les murs

Par Elodie Laquille et Jean-Baptiste Legars.

Marseille, mai 2015.


1 Manuela Carmena fut fondatrice du cabinet d’avocats de la rue Atocha, spécialisé dans le droit du travail, dont cinq membres sont tombés sous les balles d’un commando fasciste en janvier 1977.

2 El Mundo répertorie 483 hommes politiques impliqués dans des cas de corruption depuis l’an 2000, dont 50% sont membres du PP et 30% du PSOE. Une enquête sur cinq a abouti à une condamnation. Il y a eu 82 condamnés, dont 28 à de la prison ferme. Pour les municipales, il y avait plus de 100 candidats impliqués présents sur les listes électorales au bénéfice de la présomption d’innocence.

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