Zineb Redouane et les autres

Violences policières : l’impunité en marche

Rien d’un scoop : quand ce sont des policiers qui sont accusés, la justice ne fait pas de zèle. Deux affaires emblématiques, sorties par Mediapart, ont montré comment l’IGPN s’y prend pour exonérer ses collègues de leurs responsabilités.
Par Laura Pandelle

Le 1er décembre 2018, alors qu’elle était à la fenêtre de son 4e étage, Zineb Redouane recevait une grenade lacrymogène en pleine figure. Le lendemain, l’octogénaire décédait à l’hôpital. Tout juste un an plus tard, au pied de cet immeuble de la rue des Feuillants, à Marseille, quelque 150 personnes lui rendent hommage. Des bougies, une minute de silence. Puis Milfet Redouane, la fille de la défunte, dresse ce triste constat : « Ce crime est toujours impuni. Et chaque crime impuni est une autorisation à d’autres crimes. »

Douze mois d’enquête, et on ne connaît toujours pas l’identité du policier tireur. La justice a ses priorités : depuis le début du soulèvement fluo, près de 10 000 Gilets jaunes ont été placés en garde à vue, pour un total de quelque 3 100 condamnations. Environ 400 se sont soldées par une incarcération immédiate à la fin de l’audience1.

Côté police, on s’en sort beaucoup mieux. Seuls deux agents ont été renvoyés devant un tribunal correctionnel : l’un pour avoir jeté un pavé sur… personne, l’autre pour avoir giflé violemment un manifestant pacifique2. Des broutilles. Dans certains cas plus graves, comme par exemple des éborgnements, la justice a ordonné le classement sans suite, au motif qu’elle ne parvenait à identifier le policier impliqué.

Il faut dire que les enquêteurs de l’IGPN (Inspection générale de la police nationale) ne sont pas toujours des plus zélés. Dans l’affaire Zineb Redouane, les cinq CRS qui disposaient ce soir-là d’un lance-grenade du type de celui qui a touché l’octogénaire n’ont été entendus que deux mois après les faits3. Ils ont tous déclaré être incapables d’identifier l’auteur du tir fatal – leur chef aussi. Les enquêteurs n’ont pas jugé nécessaire de saisir les cinq armes en question, ni les échanges radio des policiers4. Certainement par malchance, la caméra de vidéosurveillance la plus proche de la scène n’a pas fonctionné ce jour-là… Quant aux experts choisis pour procéder à l’expertise balistique (sans disposer de l’arme !), ils étaient tellement indépendants qu’un contrat les liait au ministère de l’Intérieur.

Le rapport disparu

Pratiques tout aussi scandaleuses dans l’affaire Maria, cette jeune femme qui s’est littéralement fait fracasser le crâne dans une ruelle par une bande de policiers le 8 décembre 2018. C’était aussi à Marseille et Maria ne manifestait pas non plus : elle rentrait chez elle. À deux reprises, la police aurait refusé de recevoir sa plainte, retardant le début de la procédure ; cinq mois après les faits, les images de vidéosurveillance et les enregistrements d’échanges radio avaient été effacés selon les délais d’usage5. Plusieurs policiers suspects n’ont pas été entendus, les enquêteurs se contentant des explications de leurs supérieurs. Quand il a fallu perquisitionner chez un policier et que l’IGPN a trouvé porte close, elle n’a pas insisté.

D’autres preuves ont disparu : curieusement, écrit Mediapart, « le précieux rapport informatique faisant état de l’ensemble des mouvements et des interventions des policiers la journée du 8 décembre a été tronqué entre 14 h 37 et 23 h 21. Plus un mot de disponible. » Dans son rapport au procureur, l’IGPN évoque un « dysfonctionnement informatique, incident s’étant produit ponctuellement par le passé ». Sauf que la fonctionnaire en charge du logiciel soi-disant défectueux n’y croit pas une seconde : « Cela fait deux ans que je suis au CIC [Centre d’information et de commandement] et c’est la première fois que je vois une fiche avec un tel défaut. » Autrement dit, rapporte toujours Mediapart, « selon cette fonctionnaire, il ne peut en aucun cas s’agir d’un bug informatique. Seulement d’une intervention humaine. »

Sur une plaquette de présentation, le ministère de l’Intérieur écrit que les policiers partagent « une passion commune pour la recherche de la vérité » et des valeurs « de cohésion et d’esprit d’équipe ». La passion de la vérité ? On s’interroge un peu. L’esprit d’équipe, on n’en doute pas une seule seconde.

Clair Rivière
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