Autour de Gérard Noiriel

Vers de nouvelles alliances ?

À la mi-janvier, Gérard Noiriel était de passage à Marseille, pour présenter son livre Le venin dans la plume. Mais aussi tenter de répondre aux questions du public, dont les interventions sont à l’image de certaines divisions de la « gauche ». Récit.

Sous-sol de la bibliothèque de l’Alcazar, 17 h 30 le mercredi 10 janvier, la salle est comble. Je me glisse à côté d’une dame aux cheveux blancs. Tout ce monde est réuni pour écouter Gérard Noiriel présenter Le venin dans la plume – Édouard Drumont, Éric Zemmour et la part sombre de la République, paru en 2019 à La Découverte. Historien, sociologue, spécialiste de l’histoire de l’immigration, Noiriel compare dans cet ouvrage la trajectoire et les discours du polémiste d’extrême droite Éric Zemmour à ceux d’Édouard Drumont (1844-1917), feu-polémiste de la IIIe République et antisémite forcené.

Le parallèle historique entre les deux spécialistes dans « l’art de répandre des thèses extrémistes dans l’espace public  » a plutôt l’air de convaincre la salle. L’objectif ? « Chercher à comprendre comment des idées fausses et dangereuses touchent largement », dit Gérard Noiriel, avant de décortiquer les rouages de « la fabrique d’une histoire identitaire  » qui entretient le mythe d’un « déclin de la France » à cause de ses « ennemis éternels » : les juifs pour Drumont, l’immigration pour Zemmour. Cent ans d’écart, même rengaine. Et un message : puisque les arguments rationnels ne convainquent plus les foules, reste à « la gauche  » à investir elle aussi le champ émotionnel dans le discours.

Début des questions. Une jeune femme demande des précisions sur le rapprochement entre le contexte médiatique des années 1880 et le nôtre. Mêmes « logistiques capitalistiques  », mêmes effets de concentration des médias… Noiriel critique les chaînes d’information en continu et le monopole Bolloré, avant de débrayer vers le recours au registre du sensationnel et le commentaire des «  petites phrases ». Re-consensus. Les questions se suivent, et le chercheur incite pêle-mêle à «  trouver des formes d’alliances nouvelles  » et à « élargir le nous être humain  », à s’interroger sur « ce qui n’a pas été fait  », et acquiesce face à quelqu’un dans la salle qui évoque «  l’absence de programme politique qui synthétise les valeurs de gauche ». Puis, une personne prend le micro pour dénoncer l’impérialisme et ses effets, au Yémen, à Gaza et ailleurs, avant de s’interroger : « Est-ce que, dans ce contexte, ça vaut pas le coup de parler plutôt de négrophobie et d’islamophobie ?  » Et pourquoi parler de la « part sombre de la République » quand c’est toute la République qui permet la violence contre les exilé·es et les quartiers populaires, la justice classiste ? J’applaudis. La dame à côté de moi soupire. Noiriel, critiqué pour ses prises de position sur l’intersectionnalité1, répond : malgré la « régression relative  », il y a une progression historique vers le mieux dans les lois françaises, tandis que des gens «  sont morts pour les valeurs de la République et on ne peut pas les piétiner ». Et puis, son rôle de scientifique ne serait pas compatible avec la critique politique. Surtout, il se veut stratège : «  Le langage le plus politisé des intellectuels, comme les références américaines sur le privilège blanc ne sont pas de nature à rassembler les gens autour d’un programme progressiste commun. » La colère de la locutrice n’est apparemment pas le recours à l’émotionnel que Gérard recommande.

Par Léna Rosada

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