L’édito du n° 211

Vasectomie pour tous

« Alors avis à vous, politiques de toutes obédiences, qui vous arrogez le droit de déterminer à notre place l’usage de nos ovaires : changez rien, les gars. Continuez comme ça. On vous retrouvera pendus au bout d’une corde qu’on aura tressée avec nos trompes ligaturées. »

Il n’y a pas d’acquis, que des conquis. Et ce qui se conquiert se perd aussi. Aujourd’hui, les femmes étatsuniennes en font la douloureuse expérience : vendredi 24 juin, la Cour suprême des États-Unis a révoqué l’arrêt Roe v. Wade, qui garantissait depuis 1973 le droit d’avorter aux quatre coins de l’Union. Désormais, chaque État est libre d’interdire l’IVG. À l’heure où ces lignes sont écrites, une dizaine d’entre eux ont déjà sauté sur l’occasion.

À l’origine de cette catastrophe, le déséquilibre idéologique de la Cour suprême, devenue, selon les justes termes de l’actrice Jane Fonda, « un cloaque d’extrême droite » (Le Monde, 26/06), après la nomination par Donald Trump de l’ultra-réactionnaire Brett Kavanaugh et surtout de la pro-life Amy Coney Barrett en remplacement de « l’icône » progressiste Ruth Bader Ginsburg. La liberté des femmes à avorter n’est pas la seule dans le viseur : l’institution pourrait maintenant s’en prendre à la contraception et au mariage homosexuel, voire à la légalité des relations sexuelles entre personnes de même sexe1...

L’onde de choc de la décision du 24 juin a rapidement traversé l’Atlantique. En France, elle a pour l’instant plutôt déclenché une course à l’échalote du politique le plus pro-féministe. Exemple avec La République en marche, qui avait rejeté en 2018 un amendement de LFI proposant d’inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution française, et qui vire aujourd’hui sa cuti. La nouvelle est allée jusqu’à radicaliser Emmanuel Macron, qui ne s’est pas toujours montré aussi déterminé sur le sujet. Dans un tweet il déclarait le 24 juin dernier : « L’avortement est un droit fondamental pour toutes les femmes. Il faut le protéger. » On l’attendait au tournant, le président de la rance étant, comme on sait, adepte du « oui, mais » et du « en même temps ». Par le passé, Macron n’a en effet pas craint de dire de l’avortement, pétri de paternalisme, qu’il était « toujours un drame pour une femme », et qu’il « mesur[ait] le traumatisme que c’est d’avorter ». Culpabilisation, j’écris ton nom... Sans oublier que Macron, c’est aussi le gadjo qui se dresse contre la suppression de la clause permettant aux médecins de ne pas pratiquer d’IVG si leur « conscience » le leur interdit, ou qui s’est opposé à l’allongement de douze à quatorze semaines de grossesse du délai légal de recours à l’IVG, arraché de haute lutte en février dernier. Et ce, alors même que chaque année, entre 3 000 et 5 000 femmes vivant en France sont contraintes d’avorter à l’étranger – si tant est qu’elles en aient les moyens. Pour le « droit fondamental », on repassera.

Tandis que la classe politique sort désormais les violons en faveur de l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution, le Haut-commissaire au plan et catho pratiquant François Bayrou fait bande à part et se demande si « c’est utile pour le pays en ce moment » au prétexte fumeux qu’ » aucun courant politique ne remet en cause la loi Veil ». Aucun, vraiment ? Certains députés RN fraîchement élus en tiennent pourtant une couche. Ainsi de la catholique intégriste Caroline Parmentier (Pas-de-Calais) qui en 2016 saluait Marine Le Pen comme » la seule candidate qui ait jamais parlé de dérembourser l’avortement ». Ou du député du Vaucluse Hervé de Lépinau qui, pour les quarante ans de la loi Veil, avait tenu à rendre « hommage aux millions de victimes de l’avortement ». Une dernière pour la route : Laure Lavalette (Var) qui, en 2011, qualifiait l’IVG de « génocide de masse ». Donc, comment te dire, François : si, le péril est bien là. Alors avis à vous, politiques de toutes obédiences, qui vous arrogez le droit de déterminer à notre place l’usage de nos ovaires : changez rien, les gars. Continuez comme ça. On vous retrouvera pendus au bout d’une corde qu’on aura tressée avec nos trompes ligaturées.

Illustration de Juliette Iturralde
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CQFD n°211 (juillet-août 2022)

Dans ce numéro d’été à visage psychotropé, un long et pimpant dossier « Schnouf qui peut » qui se plonge dans nos addictions, leurs élans et leurs impasses. Mais aussi : un reportage sur la Bretagne sous le joug d’une gentrification retorse, une analyse du quotidien de sans-papiers vivant « sous la menace », le récit d’une belle occupation d’usine à Florence, des jeux d’été bien achalandés, des cuites d’enfer, la dernière chronique « Je vous écris de l’Ehpad », des champignons magiques gobés avec des écrivains...

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