Queen Kong
Trente ans dans la vie d’une femme

À 5 ans, on est marrante : on raconte des blagues sur les crottes de nez, on a bien compris qu’on n’avait pas de zizi, mais ça nous convient parfaitement, et on adore expliquer à qui veut l’entendre comment on fait les bébés.
À 10 ans, on est contente : on a des couettes, on boit de la grenadine et on trouve les garçons bêtes, parce qu’on préfère les chats, les chevaux, les dauphins ou les motos.
À 15 ans, on est légère : on a nos règles en plus d’un tas de boutons blancs, on a hâte de faire quelque chose de ce corps qui se déforme autant qu’il se forme, on aimerait bien rouler des pelles aux voisin, voisine, mais on ne sait pas comment s’y prendre avec cet encombrant appareil dentaire.
À 20 ans, on est insouciante : on commence à s’épanouir sexuellement, on maîtrise notre contraception, on expérimente des choses, on en exige d’autres.
À 25 ans, on a la vie devant nous : on commence tant bien que mal à travailler, on essuie – rapidement – nos premières larmes de chagrins d’amour, on se demande si s’installer en couple c’est bourgeois ou « romantchique », on doute d’arriver un jour à arrêter de boire.
Et à 30 ans... À 30 ans ? Ben, c’est terminé.
À 30 ans, on disparaît de la littérature, du cinéma, des affiches de publicité, de la peinture, de la sculpture, des profils mis en avant sur les sites de rencontres1. On disparaît de l’entourage des hommes grisonnants (comme George Clooney), de la rue où on se faisait siffler, des bars où ça draguait. On disparaît des échelles de comparaison, des magazines féminins, des podiums et des salons hard. On disparaît des petites annonces et des grandes épopées.
Si on voulait résumer cette situation un peu brutalement, on dirait que pour qu’une femme soit baisable, visible, crédible et perçue comme digne d’intérêt, il vaut mieux qu’elle soit aussi capable d’enfanter. La bonne blague, c’est que ça ne marche déjà plus quand elle est précisément en train d’enfanter. Et que ça marche évidemment encore moins une fois qu’elle l’a fait.
Bien sûr, tout n’est pas si affreux. Bien sûr, il existe des hommes qui ont plus réfléchi que d’autres. Bien sûr, il existe des femmes heureuses qu’on leur foute un peu la paix. Bien sûr, il existe toutes sortes de variations et de résistances individuelles à ce constat.
Mais il n’empêche que l’intérêt que les hommes portent aux femmes, donc aussi l’intérêt que le public de tout ce qui est produit par des hommes porte aux femmes, semble fortement déterminé par un instinct de reproduction digne d’un vélociraptor.
Ce qui nous conduit à un certain nombre de questions. Est-ce qu’à un moment, on va pouvoir trouver belle une femme de 60 ans sans être suspecté de condescendance ? Est-ce qu’à un moment, dans les films, les femmes pourront avoir à peu près le même âge que les hommes avec qui elles couchent ? Est-ce qu’à un moment, on pourra se défaire de ce sentiment si oppressant qui s’abat sur nous dès qu’on atteint la trentaine – celui de ne disposer que d’une toute petite fenêtre, d’une dizaine d’années maximum, pour faire ce que nous voulons de nos vies amoureuse, sexuelle, professionnelle et familiale ?
Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.
Nous, c’est CQFD, plusieurs fois élu « meilleur journal marseillais du Monde » par des jurys férocement impartiaux. Plus de vingt ans qu’on existe et qu’on aboie dans les kiosques en totale indépendance. Le hic, c’est qu’on fonctionne avec une économie de bouts de ficelle et que la situation financière des journaux pirates de notre genre est chaque jour plus difficile : la vente de journaux papier n’a pas exactement le vent en poupe… tout en n’ayant pas encore atteint le stade ô combien stylé du vintage. Bref, si vous souhaitez que ce journal puisse continuer à exister et que vous rêvez par la même occas’ de booster votre karma libertaire, on a besoin de vous : abonnez-vous, abonnez vos tatas et vos canaris, achetez nous en kiosque, diffusez-nous en manif, cafés, bibliothèque ou en librairie, faites notre pub sur la toile, partagez nos posts insta, répercutez-nous, faites nous des dons, achetez nos t-shirts, nos livres, ou simplement envoyez nous des bisous de soutien car la bise souffle, froide et pernicieuse.
Tout cela se passe ici : ABONNEMENT et ici : PAGE HELLO ASSO.
Merci mille fois pour votre soutien !
1 Plus précisément, on pourrait dire qu’avant 30 ans, les femmes sont déjà plutôt absentes de la partie création ou production de ces domaines (par exemple en termes de réalisatrices de cinéma) ; après 30 ans, elles quittent aussi la partie « représentation » (par exemple en termes d’actrices avec des rôles importants).
Cet article a été publié dans
CQFD n°142 (avril 2016)
Trouver un point de venteJe veux m'abonner
Faire un don
Paru dans CQFD n°142 (avril 2016)
Dans la rubrique Queen Kong Kronik
Illustré par Caroline Sury
Mis en ligne le 21.10.2018