Mix’Art Myrys c’est un collectif d’artiste autogéré, 4 000 m² de locaux dédiés à toute forme artistique qui peut y rentrer : des ateliers de plasticien·nes, constructeur·ices, des salles de spectacles, un studio audiovisuel, un FabLab, un fournisseur d’accès internet associatif, une salle de répétition, de la sérigraphie, de la couture… Le lieu est centré autour de la création mais aussi de l’accueil d’événements d’organisations extérieures (des Beaux-Arts aux Gilets jaunes) ou internes. Les formes artistiques qu’on ne voit pas ailleurs peuvent y trouver voix et le hangar accueillir tout un chacun à prix libre, toujours.
Et Toulouse… Toulouse ville test des caméras de surveillance à intelligence artificielle, de la 5G. Toulouse ôtant la vie aux quartiers populaires pour construire des tours de bureaux vides. Toulouse négociant son soutien au président contre des forces de police supplémentaires. Toulouse menant l’offensive médiatique et législative contre le droit au logement. Toulouse candidate au titre de capitale européenne de la culture il y a quelques années et étouffant aujourd’hui son vivier culturel, un lieu après l’autre.
Tout ce foisonnement artistique se préparait à inonder le monde de poésie après la crise sanitaire, pour qu’il ait valu la peine de sauver des vies, pour qu’elles puissent jouir de la beauté et non d’une morne décrépitude. La colère suscitée par cette fermeture administrative (expulsion innomée) est aussi grande que le trou béant laissé dans le panorama culturel, peu à peu dévoré, au nom de la croyance dogmatique que le salut ne passera que par l’économie. De la même manière que les soignant·es ne veulent pas d’un hôpital rentable, mais d’un hôpital qui soigne, nous ne voulons pas d’un art qui divertit et fait vendre, mais d’un art vivant qui invente et questionne.
Comme beaucoup d’autres lieux faisant face à de pareilles attaques institutionnelles, Mix’Art est un laboratoire du monde à venir, donc forcément en opposition avec les failles du monde d’aujourd’hui. Mais au lieu de considérer cette opposition comme créatrice de nouveauté et d’alternatives, nous sommes considérés comme des ennemis d’une pensée unique manichéenne, dont la non ouverture confirme l’incapacité à nous guider vers un monde meilleur.
D’où vient cette violente détermination à mettre fin à une expérience citoyenne de recherche d’alternatives qui dure depuis plus de 25 ans ? Comme si le monde n’était pas déjà de toute part rempli de cette même chose grise, comme s’il fallait qu’elle remplace tout ce qui propose autre chose. Comme si les idées ne pouvaient plus coexister. D’où vient cette arrogance à croire que toute différence est un danger pour la société ? Quelle est cette politique qui considère qu’il est illégal de ne pas penser comme elle ? Durant les quatre mois de mobilisation écoulés, on a délaissé nos vies, nos amis, nos projets, pour essayer de sauver Mix’Art Myrys.« Ils ont toute la ville, toute la France, pourquoi veulent-ils nous enlever notre pauvre 0,5% ? ».
On a cru voir la France sombrer dans le fascisme, on s’est demandés si c’était un effet de loupe, puis on a vu le Maire donner une interview à Valeurs Actuelles, en instrumentalisant l’affaire Roland, octogénaire squatté, pour justifier la destruction du centre d’hébergement d’urgence du DAL31 en pleine pandémie et y faire des logements de luxe.
Pour essayer de comprendre, on a parlé aux amis de la Grave, du Pavillon Mazard, du Bleu-Bleu [1], on a arpenté les journaux, psychanalysé les journalistes, épluché les lois, consulté les avocats, convoqué les foules, imaginé la révolution, digéré la désillusion, pesté contre les normes. On s’est aussi entretués dans notre 0.5% assiégé.
Comprendre comment la mairie peut s’offrir la légitimité de mettre un couvercle sur ce qu’il reste d’espaces de liberté et de rencontre. Comment elle peut choisir une gouvernance qui se dessine contre les contradicteurs, contre les voix singulières, contre les sceptiques et contre près de la moitié des votants de la ville. L’occasion de dresser un historique des 25 et quelques années d’existence de Mix’Art Myrys.
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Au départ, en 1995, un groupe de gens mêlant artistes, sans papiers, sans abris – parfois dans un seul individu – s’installe dans les anciennes usines de chaussures Myrys, dans le quartier Saint Cyprien-Patte d’Oie à Toulouse. Il y avait de la lumière, ils sont entrés. Un lieu qu’ils partagent et ouvrent au public, faisant fonctionner en plein l’autogestion et la débrouille. Il faut deux ans pour que l’association Mix’Art Myrys soit créée, avec une vocation artistique et culturelle. Le site est voué à la destruction pour… un projet immobilier [2], le collectif entame le dialogue avec les institutions, affiche la nécessité de son action [3] et communique. D’autres bâtiments sont ouverts temporairement, mais rapidement évacués, puis – en l’absence de solutions trouvées avec les pouvoirs publics – en janvier 2001 c’est le grand saut en direction de l’ancienne préfecture, rue de Metz [4].
Là, pendant quatre ans, Mix’Art Myrys se fait le lieu culturel le plus fréquenté de Toulouse et le revendique. Pied de nez au cœur de la ville, dans un quartier à la bourgeoisie ancienne et bien implantée, à deux pas de la cathédrale Saint Étienne et des magasins de luxe, ces 8 000 m² sont remplis par près de 300 ateliers, un espace d’exposition ouvert en permanence, une salle de concert et beaucoup de passage.
En 2005, le bâtiment est revendu [5], Mix’Art déménage au 12 rue Ferdinand Lassalle dans un ancien bâtiment de logistique, entre la rocade et le boulevard de Suisse. Après la légitimité, place à la légalité : concrétisation du dialogue avec le Grand Toulouse, la Drac [6], la région et le département. Sont signés une convention de mise à disposition puis une convention d’objectifs et de moyens et des financements qui l’accompagnent. Le lieu n’est pas aux normes, ne pourra pas l’être avec les moyens alloués (même avec beaucoup de débrouille), ne peux pas recevoir de public, mais le collectif qui y a perdu des plumes choisit de s’adapter, de « jouer le jeu » dans ce lieu destiné à être temporaire.
En 2007 le collectif est toujours dans les murs et décide d’ouvrir le lieu au public. La mairie de Toulouse bascule l’année suivante [7], pleine de nouvelles perspectives pour la culture. Un relogement est dessiné, mis en dialogue et chiffré. Ce sera les anciennes Cartoucheries dans un espace remis à neuf étudié tout exprès pour et avec le collectif. Tout ceci est en passe de se faire lorsque soudain, nouvelles élections, trois pas en arrière : retour inattendu de la droite qui jette bientôt ce projet de relogement jugé trop cher. D’autres solutions sont envisagées avec un collectif qui doit se faire toujours proposant et souple, et c’est finalement le lieu déjà investi qui sera racheté par la métropole en 2018.
Mix’Art Myrys reste donc dans les murs, et commence à – gentiment – montrer les dents en refusant de signer une nouvelle convention qui ignorerait l’insalubrité du lieu. Depuis, les édiles boudent, même après avoir voté des travaux de mise en conformité du lieu en 2019, en toute discrétion. Après ça, les élections municipales – avec une liste citoyenne pas loin de leur damer le pion – les ont particulièrement tendu, difficile de ne pas y voir un lien avec la rupture des financements, la cessation du dialogue et pour finir la fermeture administrative.
Magnanime, la mairie veut bien reloger les artistes mais est fatiguée de discuter avec l’association, ce qui se mort la queue sachant que Mix’Art Myrys est un collectif d’artiste autogéré. Donc, on se débarrasse du collectif pénible pleins d’artistes qui font rien qu’à ne pas vouloir se ranger comme il faut dans des cases mal dégrossies. Un problème subsiste cependant, si tout ce petit monde (adhérents et public) se fait envoyer sur les roses : ils risquent de s’ennuyer. Madame la ministre nous rappelait en citant Pablo Neruda que « le printemps est inexorable » et il reste quelques bâtiments vides à Toulouse…
[/Giancarlo Antinori & Xavier Tabard/]