Quand les médias nous serrent la ceinture
Sur vos écrans : la vie au rabais
« Pour faire baisser les factures, y a des petites astuces », se réjouit l’animateur Yves Calvi sur BFMTV. En juin, la chaîne d’info en continu se souciait du pouvoir d’achat entamé par l’inflation. « Pour les courses, préconise une journaliste, il faut baisser le regard : les produits les plus chers sont à hauteur de regard. Plus on descend, moins c’est cher ! » Parcourez les rayons à quatre pattes. « Autre astuce, ne pas faire ses courses quand on a faim. Plus on a faim, plus on sera tenté. » Compris, les pauvres ? Calvi interroge le fondateur d’un site agrégateur de promotions : « Ça permet de faire des économies conséquentes ? — On peut baisser son budget d’au moins 50 %. — 50 % ?! », s’extasie Yves Calvi. Un expert ajoute : « La promotion, c’est très efficace pour faire baisser les prix. En moyenne, les enseignes rendent 140 euros aux Français. » Les enseignes sont trop bonnes. « Si vous êtes un peu promophile, vous pouvez doubler ce montant. » Seuls les promophobes se plaignent d’une baisse de leur pouvoir d’achat.
Arrivent l’été et ses sujets de JT. « Thaïlande, vivre avec les éléphants », « Vacances insolites avec un âne », « Inde, l’autre grand canyon », « Palau, le paradis philippin », etc. Les télés feignent d’ignorer que, chaque année, près de 40 % des Français ne partent pas en vacances. Pour convertir ces rabat-joie, « on vous donne des pistes pour profiter des vacances sans vous ruiner », promet France 2. Un reportage suit une assistante maternelle. « Chasser la bonne affaire, ça commence par un plein de courses pour les vacances. » À coups de cartes de fidélité, de bons de réduction, de promotions, son panier lui revient à 66,64 euros. « Je vais payer en carte-cadeau. » « Résultat, des courses… gratuites ! » C’est magique.
« Pour gagner du pouvoir d’achat, Virginie est membre d’une coopérative qui à chaque achat lui rapporte des points. À la station-service, ça se transforme en plein gratuit. » Voici Virginie et son fils dans « un gîte avec vue imprenable sur la campagne, où elle profite des points de la coopérative. Normalement, c’est 500 euros la semaine mais elle bénéficie de 400 euros de réduction. » Ajoutez « des dizaines de coupons de réduction collectés » dans les brochures de l’office de tourisme et, pour « une journée dans ce parc dédié aux volcans », « encore 57 euros de gagnés avec les chèques-vacances obtenus grâce à son employeur ». Merci patron ! Bilan, « pour cette semaine, Virginie aura fait près de 900 euros d’économies ». Les idiots renonçant aux vacances se privent de précieuses ressources.
TF1 aussi se soucie des pauvres estivants. « Dans ce contexte d’inflation galopante, nous allons faire le maximum avec le minimum : 300 euros, c’est ce dont disposent nos deux journalistes pour tout l’été. » Une série de reportages les suit de Paris à La Grande-Motte (Hérault) en passant par La Rochelle (Charente-Maritime) et l’Auvergne. En fait de « tout l’été », les deux journalistes ne sillonnent qu’une semaine les routes de France. Et entre « cars Macron » « au prix imbattable » et covoiturages sinueux, ils passent plus de temps dans les transports que sur leurs lieux de séjour. Résultat : « Nous avons réussi notre défi ! Il nous reste même 3 euros chacun… » Ça va faire juste pour rallier La Grande-Motte à Paris.
« Heureusement, s’enthousiasme France 2, c’est « le 1er août, avec trois augmentations qui entrent en vigueur : le Smic, les pensions de retraite et le point d’indice des fonctionnaires. Qu’en pensent les principaux concernés ? » Ils sont ingrats. « C’est pas assez », dit le serveur d’un café. Un retraité renchérit : « C’est un peu dérisoire. »
« Qu’en pensent les principaux concernés ? » Ils sont ingrats.
« Alors, faut-il indexer ces revalorisations sur l’inflation ? » interroge la journaliste. Stéphanie Villers, économiste, dont il n’est pas précisé qu’elle travaille pour PWC, société de conseil de celles dont raffole le gouvernement, répond : « Il faut éviter de nourrir l’inflation. Lorsque les salaires sont indexés sur l’inflation, ça débouche sur une inflation galopante. » Et ça empêche d’indexer les dividendes sur le triple de l’inflation.
De son côté l’État affiche sa générosité : avec un bouclier tarifaire prolongé en 2023, l’augmentation du prix de l’énergie se limitera à 15 %. TF1 révèle que certains n’ont pas attendu cette libéralité pour se convertir à la sobriété. « On ne chauffe plus la chambre des enfants », lâche une maman. « Toute la famille se lave à l’eau froide, dit une employée. Cet hiver, les douches seront chronométrées, pas plus de trois minutes. » De quoi compenser les émissions des jets privés.
Autre astuce sur TF1 : « Quinze jours de fermeture, c’est la solution de l’université de Strasbourg pour réduire sa facture de chauffage. » Son président justifie : « Plus on fait de yoyo avec les radiateurs, plus ça coûte. » Mieux vaut faire du yoyo avec les étudiants. Plus avisées, « certaines entreprises avaient anticipé la crise de l’énergie ». Dans une société dont la production engendre « énormément de chaleur, le patron a eu l’idée de la recycler. Nous l’envoyons dans les bâtiments pour les chauffer. Cela a permis de réduire la facture de gaz de 70 %. » Bravo ! « L’investissement a coûté 1,4 million d’euros presque intégralement financé par des aides pour la transition énergétique. » L’État est très généreux – sauf avec les étudiants.
Pour éviter les jérémiades des assistés, fions-nous aux experts de la TV. « L’Insee dit que le pouvoir d’achat a baissé au premier trimestre mais que ce sera stable sur l’ensemble de l’année », assure Nicolas Doze sur BFMTV. Son collègue Emmanuel Lechypre renchérit : « Entre le premier et le deuxième semestre, en matière de pouvoir d’achat, ce sera le jour et la nuit. Au premier, le pouvoir d’achat a baissé de 3 % par famille. Au deuxième, il va augmenter de 2 %. » Les Français vont se gaver comme jamais. Sur LCI, François Lenglet est comblé : « Les chiffres de l’emploi explosent ! 93 000 créés au deuxième trimestre, c’est quasiment du jamais vu. » Fini le chômage. Retour sur BFMTV, où Nicolas Doze avertit : « Monter les impôts, c’est jamais un bon signal. »
Au fond, les plus à plaindre sont « les patrons [qui] vont devoir augmenter les salariés à cause de l’inflation, s’apitoie un expert de BFMTV. Les grandes entreprises, en début d’année, avaient un budget d’augmentation des salaires de 2,5 %, aujourd’hui on est plutôt à 4 %. » Sacré pactole… très en deçà de l’inflation. « Pour augmenter le pouvoir d’achat, note la présentatrice, les patrons peuvent aussi octroyer la prime Macron. » Défiscalisée, cela va sans dire. Las, « les salariés préfèrent des hausses de salaires à une prime ». Les rapaces. « Ça va être tendu pour les patrons. » Pauvres patrons.
À l’annonce de la prolongation du bouclier tarifaire, Pascal Perri gémit sur LCI : « Les salariés sont surprotégés. » David Pujadas désespère : « Nous sommes complètement accrocs à l’État-providence, à l’État protecteur, à l’État-nounou avec ce bouclier énergétique qui reste très épais, très protecteur. » Et de se lancer dans une « comparaison géographique : en France, l’État est très généreux. Pays-Bas, Allemagne, Italie, Espagne… Les prix de l’énergie vont beaucoup plus augmenter ». Sauf qu’on y ponctionne les superprofits pour faire de la redistribution. Bref, « on a un État protecteur bien plus généreux qu’avant et qu’ailleurs. » « Je suis complètement d’accord avec vous, David, approuve Sophie, du Point. C’est normal que les ménages contribuent. Je trouve cette politique mesurée et intelligente. » Pour les ménages d’éditorialistes…
Cet article a été publié dans
CQFD n°213 (octobre 2022)
Dans ce numéro, un dossier sur l’inflation : « Les poches vides & la rage au ventre ». Mais aussi un appel à soutien, l’audacieuse tentative de la Quadrature du Net qui cherche à faire interdire la vidéosurveillance partout en France, un reportage dans une bourgade portugaise en lutte pour préserver des terres collectives face à une mine de lithium, une analyse sur l’Italie postfasciste...
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Paru dans CQFD n°213 (octobre 2022)
Dans la rubrique Le dossier
Par
Illustré par Colloghan
Mis en ligne le 21.10.2022
Dans CQFD n°213 (octobre 2022)
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