Hager, de retour de Sidi Bouzid où elle s’était rendue avec la « caravane de remerciements » [1], raconte : « Des proches de Mohamed Bouazizi m’ont expliqué qu’il était un parmi tant d’autres jeunes qui se sont suicidés et se suicident dans la région. Certains se sont jetés dans des puits. Mais la manière de faire la plus répandue est de grimper aux pylônes électriques et de s’accrocher aux câbles de 30 000 volts. Il y a eu de nombreux morts dans les mois précédant le geste de Mohamed et les gens en parlent avec fatalisme. »
Cette immolation est loin d’être la première en Tunisie, où, selon une enquête publiée en 2009, 37 % des jeunes penseraient au suicide. Le 3 mars 2010, Adesslem Trimeche, lui aussi vendeur ambulant qui s’était fait confisquer sa charrette, s’était immolé à Monastir, ville côtière et touristique. Sa mort avait été dissimulée : hors de question pour le gouvernement de tolérer une mauvaise publicité qui aurait ébréché l’image paradisiaque du littoral tunisien. Le geste de Mohamed Bouazizi aura rencontré un autre écho dans sa région oubliée et méprisée de l’arrière-pays, où les liens tribaux demeurent très présents. Le gouvernement traditionnellement méprisant à l’égard des populations du Sud a alors totalement sous-estimé les conséquences de ce drame.