L’édito du 192

Retour à l’anormal

Tonton Marx nous l’avait annoncé dès 1865 : « Un homme qui ne dispose d’aucun loisir, dont la vie tout entière, en dehors des simples interruptions purement physiques pour le sommeil, les repas, etc., est accaparée par son travail pour le capitaliste, est moins qu’une bête de somme. 1 » Avec le reconfinement, nous en sommes tristement là : nous voilà priés de continuer à trimer, mais pour le reste, c’est le retour des attestations, de l’absurde règle du kilomètre et… de la répression. Le gouvernement va en avoir besoin. Car il a tellement foiré sa com’ que l’acceptation sociale des mesures sanitaires, assez stupéfiante lors du premier confinement, semble avoir fondu comme neige au soleil. C’est que les raisons de la colère ne manquent pas : la grande distribution peut continuer à tourner quand les petits commerçants sont contraints de tirer le rideau, les plans de fermeture de lits d’hôpitaux se sont poursuivis ces derniers mois2, etc.

Et comme si la catastrophe sanitaire ne suffisait pas, le mois d’octobre a marqué le retour de la bigoterie sanguinaire. Entre autres, l’assassinat de Samuel Paty et l’attentat de Nice, ignobles actes criminels en eux-mêmes, font craindre une escalade meurtrière avec de possibles répliques venues de l’extrême droite – l’affaire d’Avignon3 en est un inquiétant signe précurseur. Quant aux réactions politico-médiatiques, elles ont gravement dérapé dans la fange. Le Premier ministre Jean Castex, en pleine chasse aux sorcières « islamo-gauchistes », a ainsi suggéré le 1er novembre sur TF1 que « regretter la colonisation » relevait de la justification de « l’islamisme radical ». Son ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a profité des événements pour faire exploser l’État de droit en lançant des « opérations de police » visant des « dizaines d’individus pas en lien forcément avec l’enquête » sur le meurtre de l’enseignant, mais auquel il avait envie de « passer un message » : « pas une minute de répit pour les ennemis de la République ». Et le groupie de Sarkozy de dissoudre des associations de manière administrative, sans passer par la justice et en recourant à des arguments parfois très fallacieux – un procédé qui relève de l’arbitraire, quoi qu’on pense du positionnement idéologique de telle ou telle cible du ministre.

Se targuant de défendre la liberté d’expression, ce gouvernement en est en fait le fossoyeur, lui qui tentait récemment de faire voter une loi de censure (la loi Avia4), heureusement retoquée en juin dernier par le Conseil constitutionnel. En termes de législation liberticide, la macronie ne compte d’ailleurs pas s’arrêter là. Une proposition de loi sur la « sécurité globale », déposée le 20 octobre par des députés LREM, doit être débattue à l’Assemblée le 4 novembre, deux jours après l’impression du présent journal. Au programme ? Des mesures qui visent, entre autres, à tout mettre en œuvre pour dissuader la plèbe d’aller manifester ou de dénoncer les violences policières. Un article entend ainsi légaliser l’utilisation massive des drones de surveillance. Pire, un autre propose d’interdire, dans de multiples cas, la diffusion de « l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un fonctionnaire [de police] lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police ». En pratique, cette loi équivaudra à une interdiction pure et simple de diffuser des vidéos de violences policières. Flippant.

La bonne nouvelle dans tout ça ? Paraît qu’à l’heure qu’il est, les manifestations sont toujours autorisées... ■


1 Citation tirée de son livre Salaire, prix et profit.

3 Le 29 octobre, juste après l’attentat de Nice, un homme porteur d’une arme à feu a été abattu par des policiers. Selon plusieurs médias, il avait auparavant menacé un commerçant maghrébin ; ancien adhérent du Parti communiste, il avait basculé à l’ultra-droite il y a quelques années.

4 Sous prétexte de lutter contre la haine en ligne, cette loi permettait à la police de faire fermer elle-même un site web en une heure si elle jugeait qu’un contenu y était illicite.

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