Echec Scolaire

Ralentir la saignée

Loïc est prof d’histoire et de français, contractuel, dans un lycée pro des quartiers Nord de Marseille. Chaque mois, il raconte ses tribulations au sein d’une institution toute pétée. Entre sa classe et la salle des profs, face à sa hiérarchie ou devant ses élèves, il se demande : où est-ce qu’on s’est planté ?

« Bon, on a eu la réu avec le chef d’établissement, la DHG [Dotation heure globale] est pourrie !  » amorce la collègue de la CGT qui préside l’heure d’info syndicale à laquelle se pointe une cinquantaine de profs une fois par mois. C’est là qu’on discute des couacs du lycée, des relations avec la direction, les parents d’élèves... et qu’on analyse les effets foireux des réformes en cours pour tenter, comme on peut, d’y résister. « La DHG c’est l’enveloppe d’heures globale que nous file la Dasen [Direction académique des services de l’Éducation nationale] pour qu’on assure les cours chaque année dans chaque matière. L’an prochain, ils font sauter des heures pour les classes de langue.  » Résultats : des postes de contractuel·les en suspend et des classes de langue plus chargées. On n’arrête pas les saignées. Du coin de la salle, la collègue d’histoire explique : « C’est pour les filer à la cité éducative [un programme national gazeux censé assurer la continuité éducative extrascolaire, ndlr] ils en ouvrent une à la rentrée dans un quartier privilégié du centre. Ils piquent des heures de langues aux gamins des quartiers pour les filer aux gosses de riches !  » À l’unanimité on vote contre – la Dasen en sera informée via le proviseur, espérant que les décideurs en tiennent compte.

En première ligne, à charge des profs et personnels d’essuyer les plâtres de choix éducatifs anxiogènes de la start-up nation.

Hop, autre sujet : les intrusions dans le lycée, toujours plus fréquentes. Des jeunes qui rôdent pour vendre du shit dans les couloirs ? Nope, un parent d’élève qui aurait réussi à entrer dans l’établissement pour protester contre un 0/20 reçu par son fils. Les flics l’ont évacué. « Ça arrive de plus en plus les coups de pression des parents. C’est pas normal !  » s’insurge un collègue. Un autre répond : « C’est surtout qu’avec leur Parcoursup à la con et le contrôle continu, les parents et les élèves pètent les plombs !  » En première ligne, à charge des profs et personnels d’essuyer les plâtres de choix éducatifs anxiogènes de la start-up nation. Wissam Xelka, youtubeur décolonial, calé sur les questions scolaires, résumait : « Plus le climat social se tend, plus les relations profs-élèves se tendent. On n’améliore l’école qu’en luttant contre les inégalités. En changeant la société !  »

Responsables de la dégradation de l’Éduc’ nat’, les profs ? Nombre d’entre elleux passent leur temps à colmater les brèches. Avant que la réu se termine, la syndicaliste ajoute : « J’oubliais ! À la rentrée prochaine, la Région veut supprimer le remboursement des EPI [Équipement de protection individuelle] aux élèves non boursiers – les chaussures de sécu, casques, bleus de travail –, faudra qu’on se mobilise là-dessus avant la fin de l’année.  » Qu’on ne se trompe pas d’ennemi·es.

LoÏc
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CQFD n°241 (mai 2025)

Dans ce numéro, on se penche sur le déni du passé colonial et de ses répercussions sur la société d’aujourd’hui. Avec l’historien Benjamin Stora, on revient sur les rapports toujours houleux entre la France et l’Algérie. Puis le sociologue Saïd Bouamama nous invite à « décoloniser nos organisations militantes ». Hors dossier, on revient sur la révolte de la jeunesse serbe et on se penche sur l’enfer que fait vivre l’Anef (Administration numérique des étrangers en France) à celles et ceux qui doivent renouveler leur titre de séjour.

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