À force de gonfler, ça explose

Prothèse ta mère

La galère des ouvriers licenciés par le fabricant de nichons en silicone Poly Implants Prothèse ressemble à un cas d’école. « Le capitalisme expliqué aux enfants » pourrait être l’intitulé de ce cours pratique. Un dépôt de bilan tombant à pic pour éviter que les inspecteurs de la sécurité sanitaire ne mettent trop leur nez dans un procédé de fabrication frauduleux a laissé sur le carreau une centaine d’employés à qui l’on n’avait jamais demandé leur avis, ni sur la finalité du boulot, ni sur la qualité de la merde produite. Et à la fin, qui c’est qui paye ?

Créée en 1991 par Jean-Claude Mas et installée à La Seyne-sur-Mer (Var), la société Poly Implants Prothèse a été troisième producteur mondial dans le secteur des implants mammaires, avant qu’en 2003, un fond d’investissement entre dans son capital tandis que son fondateur devenait président du Conseil de surveillance. Dans le même temps, l’entreprise introduisait une nouvelle formule remplaçant le gel de silicone, trop cher, par un nouveau matériau qui se voit aujourd’hui mis en cause pour un taux de rupture deux fois supérieur au produit antérieur.

Le 30 mars 2010, la société est mise en liquidation judiciaire et les salariés s’accordent pour dire que cette décision n’est en rien le fruit du hasard : « Nos patrons ont provoqué purement et simplement leur mise en liquidation », affirment-ils. Coïncidence ? C’est exactement au même moment que l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) décrète le rappel de milliers de prothèses mammaires défectueuses que la centaine de salariés se voit jetée à la rue. À l’annonce de la décision du tribunal de commerce de Toulon, dirigeants et cadres de la boîte déguerpissent. Les salariés décident alors d’occuper le site en réclamant « le versement des salaires dus et d’indemnités de licenciement décentes, comprises entre 10 000 et 15 000 euros ». Ils font également savoir qu’ils sont prêts à mettre le feu à la boîte en cas d’intervention policière.

Les premiers engagements du préfet pour accélérer les procédures d’indemnisation et ses promesses de plan de reconversion d’urgence n’y font rien. Les salariés gardent la main sur les boîtes d’allumettes : d’autant plus furax qu’ils doivent parallèlement se coltiner des rendez-vous avec les élus de leur commune de résidence pour aller mendier des facilités de paiement pour les crèches ou les cantines de leurs minots. Le 17 avril, les salariés lèvent finalement le siège après que le préfet a agité la menace d’une intervention policière au nom de la « sécurité publique », tout en présentant la levée du barrage comme la condition préalable à l’ouverture de toute négociation avec la direction régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi (rien que ça !).

Alexandre Teugniez, qui a travaillé deux ans dans l’entreprise, raconte : « Un responsable CGT nous a fait comprendre que si on ne partait pas, les CRS allaient nous déloger et qu’on n’obtiendrait rien. Au final, on s’est bien fait avoir. Faut pas oublier que certains avaient près de vingt ans d’ancienneté et qu’ils ont tout perdu. » Alexandre aura attendu près de trois mois pour toucher ses salaires impayés, et ce n’est qu’en novembre que son dossier de financement de formation a été traité : « On devait soi-disant toucher 5 000 euros par tête de pipe pour les formations, je n’ai toujours rien vu venir. Je peux te dire que j’ai galéré. »

Mais le scandale autour des malheureuses porteuses de ces prothèses mammaires fabriquées avec un gel non homologué a repoussé au second plan les salariés lésés. « C’est rigolo, parfois on avait même l’impression que nous, salariés, étions considérés comme complices ! Quand je suis arrivé dans la boîte, on travaillait ce produit, mais jamais on n’a su qu’il n’était pas homologué. Les seules personnes responsables sont à mon avis les directeurs de production et de qualité, forcément au courant et complices. Et puis, on a été aussi en contact direct avec ce produit et on en ignore actuellement le degré de dangerosité. J’attends la suite », grimace l’ex-ouvrier. Il décrit l’ambiance qui régnait dans la boîte : « On était vraiment sous pression. Moi, je crois avoir été l’un des agents les plus polyvalents, on m’a mis sur sept postes en deux ans ! » Concernant la visite des inspecteurs de la sécurité sanitaire, il se souvient d’une anecdote croustillante : « On sentait bien qu’il y avait des magouilles, mais bon, on faisait notre taf. Si on l’ouvrait, on risquait le licenciement. La veille du passage de l’Afssaps, les chefs nous ont demandé de déplacer des cuves, qui ne servaient soi-disant plus à rien. J’ai refusé car je n’en voyais pas l’intérêt, et je suis passé direct devant le directeur de production qui m’a fait comprendre que je n’étais rien et que je devais obéir. »

Aujourd’hui, Alexandre, jeune papa, est allé suivre une formation du côté de Bordeaux, à plusieurs centaines de kilomètres de son lieu de résidence : « On n’avait aucune chance de retrouver du boulot dans la zone, certains ont quand même réussi, d’autres attendent un hypothétique repreneur, mais ce ne sera pas demain la veille. Moi c’est marrant, mon CTP [Contrat de transition professionnelle…] va jusqu’en mai et je finis la formation en juin. Je ne sais pas comment on va s’en sortir. »

Avant de s’évanouir dans les limbes de la liberté d’entreprise et de mettre sur le pavé ses salariés, le dirigeant de la boîte se serait encore versé un salaire de 12 000 euros, comme ça, in extremis, avant que les exonérations fiscales accordées aux entreprises installées en zone franche n’arrivent à terme… En guise de morale de la fable, une banderole barrant l’entrée de la boîte occupée proclamait : « Les gros se sont gavés et les petits ont trinqué. » Se gaver jusqu’à exploser, à l’instar de toutes ces absurdes prothèses au rabais ?

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