Ça craint pas ? Sissi

Prisons d’Égypte : une bombe à retardement

Surpopulation, manque d’hygiène et de soins règnent en maîtres dans les geôles égyptiennes. Les détenus, dont de nombreux prisonniers politiques, y sont une proie de choix pour le coronavirus.

Le 25 mars, la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme appelait les États « à protéger les détenus » du coronavirus. Et Michelle Bachelet de porter une attention particulière à une partie d’entre eux : « Aujourd’hui plus que jamais, les gouvernements devraient libérer toute personne détenue sans fondement juridique suffisant, y compris les prisonniers politiques et les personnes détenues simplement pour avoir exprimé des opinions critiques ou dissidentes. »

Avec près de 114 000 personnes incarcérées1, dont des dizaines de milliers de prisonniers politiques2, l’Égypte était particulièrement en ligne de mire. Ses prisons sont surpeuplées, avec un dispositif médical médiocre et de piètres conditions sanitaires. Dans les cellules, les prisonniers sont communément entassés de 40 à 60, dormant à même le sol à tour de rôle. Les personnes atteintes de pathologies chroniques, comme le diabète, reçoivent leur insuline par le biais de leurs familles, quand celles-ci ont pu obtenir – souvent en payant un bakchich – un permis de visite. D’autres détenus, moins chanceux, dépérissent et finissent par perdre la vue ou être atteints de gangrène à la moindre blessure. Le 10 mars dernier, pour cause de pandémie, les parloirs ont été suspendus...

Dans les quartiers de haute sécurité, comme le sinistre Scorpion de la prison de Tora, au Caire, les détenus politiques sont régulièrement frappés. Certains sont même soumis à des sévices humiliants – on leur plonge la tête dans un seau rempli d’eau et d’excréments3.

La privation de soin est un autre moyen de tuer à petit feu les prisonniers politiques. La Coordination égyptienne pour les droits et les libertés rapporte régulièrement des cas de détenus gravement malades laissés à l’abandon dans leurs souffrances. Avec la propagation du coronavirus, elle craint le pire. Le 23 mars dernier, elle relayait un appel au secours de prisonniers du centre pénitentiaire de Tora : « Depuis l’arrêt des visites, nos stocks de produits d’hygiène corporelle et de nettoyage sont épuisés – ainsi que notre nourriture – et l’administration pénitentiaire refuse de nous en fournir. Nous en sommes réduits à manger une bouillasse inqualifiable, distribuée à la louche. L’alimentation en eau ne dure que deux heures par jour – un robinet par coursive – et l’atmosphère est irrespirable. L’air ne rentre que par des petites grilles situées en haut des murs, ce qui empêche aussi la lumière du jour de pénétrer dans la cellule. » Et les détenus d’ajouter, pleinement conscients de leur situation : « Nous sommes vulnérables à une épidémie virale dans les prisons. »

Où en est cette épidémie aujourd’hui ? Impossible de le savoir précisément : verrouillées par le ministère de l’Intérieur, les informations sur les cas de prisonniers contaminés fuitent au compte-goutte. Alors que les appels à une libération massive de prisonniers se multiplient, les sbires du maréchal-président Abdel Fattah al-Sissi font la sourde oreille. À croire que pour ce régime criminel4, la pandémie est une aubaine.

Rabha Attaf

1 Selon une récente estimation onusienne.

2 Human Rights Watch estime qu’au moins 60 000 personnes (opposants, journalistes, défenseurs des droits humains...) ont été arrêtées ou inculpées pour des motifs politiques depuis le coup d’État de juillet 2013.

3 Voir notamment « Égypte : l’isolement pour torturer », amnesty.fr (07/05/2018).

4 En août 2013 au Caire, la seule dispersion du sit-in pacifique de la place Rabia Al-Adawiya fit près de 1 000 morts, sans compter les disparus.

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