Roms de Marseille
La débrouille en temps de crise
Trente-quatre. C’est le nombre de bidonvilles et de squats marseillais dans lesquels des centaines de Roms – et des dizaines d’autres personnes originaires d’Europe de l’Est – se bricolent une vie. Depuis 2003, Caroline Godard, salariée de Rencontres Tziganes, une association qui lutte pour le respect de leurs droits, tente de tenir les comptes : « Actuellement, 950 personnes sont réparties sur ces différents sites. » Elle énumère : « Il y a le squat de la place Cazemajou, le plus gros, avec 250 personnes ; le bidonville sous l’échangeur de Frais-Vallon, où vivent une soixantaine de personnes ; le squat du chemin de la Madrague-Ville où ils sont une quarantaine. Et puis tous les autres. »
La liste est longue et à chaque expulsion, chaque incendie, un bidonville de moins c’est un squat de plus – et vice versa. Ici, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Mais quand la pandémie s’est déclarée et que le confinement a été décrété, tout le monde était inquiet.
« C’est un peu compliqué de demander aux gens de se laver les mains quand ils n’ont pas d’eau ! », ironise Caroline Godard. À force de ferrailler dans ce sens, ses collègues et elle viennent d’obtenir l’installation de points d’eau sur presque tous les lieux de vie. Au squat de Cazemajou, où Elena Barsan vit avec son mari et ses trois enfants, il y avait déjà un robinet : « C’est bien, mais on est 250 et forcément tout le monde met ses doigts dessus ! », constate la trentenaire arrivée de Roumanie en 2014. Pour désinfecter les lieux, chacun y va de son huile de coude : « Aujourd’hui trois familles ont lavé le sol et le trottoir avec le tuyau d’eau et la javel. »
Au début du confinement, Elena Barsan craignait surtout le manque de nourriture : « Ici, plus personne n’a de travail : on ne peut plus récupérer la ferraille ou d’autres objets dans la rue, sinon on risque d’être infectés. De toute façon on ne peut plus rien vendre. » Rapidement, des distributions de colis alimentaires ont été organisées par des associations et des chèques-services viennent d’être distribués par l’État : « On peut enfin acheter de la farine, de l’huile et tout ce qu’il faut ! », se réjouit la résidente de Cazemajou.
Avant le confinement, les enfants d’Elena Barsan, âgés de 4, 13 et 16 ans, allaient quotidiennement en classe : « Maintenant, je discute avec les profs sur WhatsApp pour savoir ce qu’il y a à faire », raconte leur mère. Mais à cinq dans la même pièce, pas toujours simple de se concentrer. Jane Bouvier, fondatrice de l’association L’École au présent, qui suit quatre cents enfants dont une grande majorité de Roms, ne semble pourtant pas inquiète : « Beaucoup de mamans se déplacent dans les établissements pour récupérer les cours quand elles n’ont pas internet et certains professeurs se rendent sur les lieux de vie. » C’est que les familles en ont vu d’autres : au gré des expulsions, les enfants ont souvent été ballottés d’école en école. Alors l’adaptation, chacun connaît.
L’adaptation ? Le concept semble par contre avoir échappé à certains policiers. Même dans cette situation exceptionnelle, il en est qui ne freinent pas leur zèle : « Dans le quartier de Saint-Antoine, la police a demandé à des familles de partir, alors qu’elles vivaient sur un parking », rapporte Caroline Godard.
Au-delà de cet épisode tristement banal, la travailleuse associative s’inquiète pour les personnes à la santé vulnérable vivant sur les bidonvilles et dans les squats : « Des chambres d’hôtel ont parfois été mises à disposition, mais dès qu’il y a une famille avec plus de trois enfants, il n’y a plus rien de prévu. »
Cet article a été publié dans
CQFD n°187 (mai 2020)
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Paru dans CQFD n°187 (mai 2020)
Dans la rubrique Le dossier
Par
Illustré par Yohanne Lamoulère
Mis en ligne le 07.05.2020
Dans CQFD n°187 (mai 2020)
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