Épidémie & inégalités
Pendant la crise sanitaire, la guerre sociale continue
« Est-il vraiment prouvé et évident que les risques de contagion sont plus élevés dans un marché en plein air que dans un supermarché fermé ? Les risques de contagion sont-ils vraiment plus faibles pour des produits dont la chaîne de production nécessite une multitude d’intermédiaires que pour des produits frais vendus en direct ? » Ce 27 mars, la question est posée par des paysans et paysannes de Notre-Dame des Landes, dans une lettre ouverte réagissant à l’interdiction des marchés de plein air. Et elle est pertinente. Car non, il n’y a pas grand-chose de neutre dans les mesures gouvernementales de lutte contre la propagation du coronavirus.
Derrière le masque du bon sens et de « l’union nationale », l’idéologie suinte : alors que l’agro-industrie s’est rendue coupable de tant de scandales sanitaires, on continue à la favoriser en mettant la grande distribution en situation de quasi-monopole1. Combien de petits producteurs ne réchapperont pas à cette crise ? Même interrogation pour les librairies de quartier, vampirisées par le géant Amazon, dont les employés, eux, sont priés de continuer à bosser, risque de contagion ou pas. Grâce aux ordonnances permises par l’état d’urgence sanitaire, on pourra même les faire trimer jusqu’à 60 heures par semaine.
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Certes, quelques rares mesures sociales ont été prises pour éviter l’explosion : entre autres, la prolongation de la trêve hivernale des expulsions locatives et le report de l’entrée en vigueur des nouvelles règles de l’assurance chômage. Mais de manière générale, le coronavirus est un puissant révélateur – voire amplificateur – des inégalités. Rien de nouveau sous le soleil : pendant la peste de Marseille, en 1720, ce furent les mendiants qu’on chargea d’ensevelir les cadavres contaminés. Une fois ces gueux décédés, on eut recours aux forçats… Pendant l’épidémie, l’élite politique garda le droit de se promener à sa guise, quand les pauvres avaient interdiction de quitter la ville, sous peine de mort.
Aujourd’hui, l’injustice perdure : les prolos bossent ou sont confinés avec leurs enfants dans 30 m2, les bourgeois se cassent à l’île de Ré. Idem pour le traitement des malades. Mi-mars, alors qu’elle ne présentait aucun symptôme, la présidente du Conseil départemental des Bouches-du-Rhône, Martine Vassal, n’a pas hésité pas à aller se faire tester – positive. Elle a même fini par être placée en observation, occupant une chambre d’hôpital à l’heure même où les soignants attendaient fébrilement un tsunami de cas extrêmes... Dans leur maison de retraite, le papy et la mamie lambda n’ont pas droit aux mêmes égards : beaucoup mourront sans qu’on prenne la peine de les envoyer à l’hôpital. Ce même hôpital public dont les différents partis au pouvoir ont fait fermer des milliers de lits ces dernières décennies, quand ils n’envoyaient pas leur police gazer les soignants exténués qui réclamaient dans la rue des augmentations de moyens…
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C’est peu de le dire, l’ambiance générale n’est pas folichonne. Dans les rues vidées, la police s’en donne à cœur joie, verbalisant à tout va, surtout des personnes racisées, même quand celles-ci disposent d’une attestation de sortie des plus valables – les témoignages se multiplient. En cas de récidive, ce sera la garde à vue voire la prison, où l’épidémie risque de faire des ravages, du fait d’une surpopulation que le gouvernement se refuse à réduire sérieusement.
Dans le même temps, la technopolice affûte ses armes. Dans notre édito du mois dernier, nous écrivions qu’en France, « on semble encore loin des villes chinoises mises en quarantaine et des drones policiers rappelant à l’ordre les récalcitrants qui sortiraient de chez eux ». On y est. Terrible accélération de l’histoire : après le terrorisme, la lutte contre la pandémie offre une justification rêvée aux promoteurs des technologies de surveillance invasives. Ne rêvons pas : quand le coronavirus se sera éclipsé, les dispositifs sécuritaires et antisociaux mis en place pendant l’épidémie ne disparaîtront pas d’eux-mêmes.
Comment résister ? Confiné, le mouvement social est forcément plus discret, même si sur ce front des choses commencent fort heureusement à bouger. À défaut de trouver d’inédites formes de lutte adaptées à la situation actuelle, il faudra repartir au front en temps voulu. Dès le jour d’après. En reprenant la rue.
– Ces réflexions auront une large place dans le prochain numéro de CQFD, titré « Nous sommes en guerre… sociale ». En kiosque vendredi 3 avril.
1 Dans certaines communes, notamment Lille, une dérogation a finalement permis aux marchés de plein air de continuer à fonctionner
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Les échos du Chien rouge
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Paru dans Les échos du Chien rouge
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Mis en ligne le 03.04.2020
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